Libre-échange avec Jean Charest
Emeline Magnier
2013-11-12 15:00:00
L'accord économique et commercial global (AECG) prévoit l'abolition des tarifs douaniers afin d'augmenter les échanges commerciaux entre le Canada et l'Europe, et couvre la plupart des aspects de la relation économique bilatérale, incluant les produits et services, l’investissement et les achats gouvernementaux.
Actuellement associé chez McCarthy Tétrault, Jean Charest a accepté de répondre à nos questions et de nous présenter l'entente et les changements qui en découleront pour la communauté juridique. Il nous a reçus à ses bureaux de Montréal.
Droit-inc: En quoi l'AECG est-il bénéfique pour le Canada?
Jean Charest: Le Canada est une route d'investissement et je pense que c'est le destin de notre pays. On compte 40% du secteur minier au monde avec des compagnies qui se déploient partout, et c'est la même chose pour le pétrole et le gaz. Nous sommes 35 millions d'habitants, alors nous avons besoin d'investissements étrangers.
La France et le Québec sont intervenus en tandem sur le dossier du libre-échange. En 2007, alors que Jacques Chirac était président de la République, j'avais sollicité son soutien et il m'avait bien appuyé. Quand Nicolas Sarkozy a pris la présidence, la France a réitéré son appui, ce qui a eu un gros impact dans l'avancée du projet.
Les négociations officielles ont débuté quand Sarkozy est arrivé à la tête de l'Union européenne. L'aboutissement a pris plus de temps qu'on ne pensait, mais c'est une entente très prometteuse pour les deux parties.
Il y a aussi un enjeu culturel et nous serons un point d'appui pour l'entrée de l'Europe aux États-Unis. Nous connaissons bien les Américains, pour qui la business compte plus que la culture. En cela, ils ont une culture différente de celle qu'on partage avec les Européens.
Pour les avocats, quels seront les domaines de pratique les plus impactés par l'entente?
Je pense d'abord au secteur des ressources naturelles, du pétrole et du gaz. Les Européens vont s'intéresser aux investissements. Tous les avocats qui ont une pratique d'affaires générale vont se tourner plus vers l'Europe, et vice-versa.
Je prévois un déblocage important dans le domaine de l'énergie: sur le Vieux Continent, la situation est chaotique et très compliquée avec la hausse des prix et l'augmentation de la consommation de charbon américain. Ceux qui ont des pratiques dans ces secteurs vont faire des affaires.
Il faut aussi citer le domaine des transports, et tout ce qui touche aux marchés publics. L'Europe ne s'est jamais cachée de vouloir accéder aux marchés publics canadiens et provinciaux. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle voulait que les provinces soient à la table des négociations, c'est un précédent.
Quels changements anticipez-vous sur votre propre pratique?
Chez nous, les clients dans les secteurs manufacturier et de l'agro-alimentaire s'intéressent beaucoup aux effets de l'accord et s'interrogent sur sa signification. Ils sont curieux de connaître les perspectives. Nous devons donc leur présenter l'entente.
Mais il y a encore beaucoup de travail à faire: seul l'accord de principe a été signé, et la mise en œuvre reste à négocier; comme par exemple la question des quotas pour les fromagers.
Quel sera le rôle des avocats devant ces nouvelles dispositions?
Notre rôle est double: nous devons intervenir sur l'application du droit et sur le contenu de l'accord. Mais nous avons aussi un rôle stratégique: nous devons aider le client à naviguer sur les changements et prendre les bonnes décisions d'affaires. Il faut leur offrir une lecture du marché et des nouvelles opportunités qui viennent avec.
Avec l'Arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM), les avocats québécois se trouveront-ils favorisés par la signature de l'entente de libre-échange?
Les avocats québécois ont une porte d'accès vers l'Europe grâce à l'ARM. Dans l'accord de libre-échange, il y a un chapitre sur la mobilité de la main-d'œuvre, inspiré de l'accord France-Québec. On est allés aussi loin que l'on pouvait, parce que beaucoup de matières ressortent de la compétence des provinces et des États souverains. Il faudrait aller encore plus loin, et mon souhait est que le Québec reste à la pointe sur ce sujet.
Il faut utiliser l'accord de libre-échange comme plateforme et essayer de rejoindre dans un premier temps tous les pays francophones, comme la Belgique et la Suisse, ce qui favorise l'immigration dans les deux sens.
Le marché vient de s'ouvrir et avec lui, les occasions de transiger. Nous devons jouer la carte qui nous distingue: nous sommes les plus europhiles des Nord-Américains. Il faut aller vers les occasions et provoquer les événements. Les avocats québécois ont ces capacités.