Vos contrats sont-ils lisibles ?
Stéphanie Roy
2014-11-20 11:15:00
57.5%. C’est la moyenne de bonnes réponses obtenue par des étudiants en droit interrogés après avoir lu le contrat de téléphonie de Rogers et tenté de répondre à des questions pratiques du style:
« Il y a un mois, j’ai conclu un contrat de téléphonie de deux ans avec Rogers qui m’a fourni un téléphone d’une valeur de 400$. Je viens de perdre cet appareil. Dois-je le rembourser? ».
Un score troublant pour les téléspectateurs et ô combien néfaste pour l’image de notre profession juridique puisque ces contrats illisibles ou incompréhensibles sont généralement écrits par des juristes. Et même les juristes s’y perdent parfois.
Le problème ? Il y a certes la longueur des documents, les caractères trop petits et les termes juridiques non expliqués. Mais il y a aussi les tournures de phrases parfois obscures et si éloignées de notre langage quotidien. Le plus souvent, la structure générale du contrat ne reflète aucunement les besoins et la logique du consommateur, mais plutôt notre structure de pensée juridique.
Prenons un exemple simple. Pourquoi écrire:
Sauf indication contraire dans une Entente de service, nous pouvons modifier en tout temps, mais en vous transmettant un avis écrit au moins 30 jours au préalable, à l’égard de tout Service mensuel, les frais, les caractéristiques, le contenu, la fonctionnalité, la structure ou tout autre aspect du Service mensuel.
Alors que ceci est bien plus efficace:
Nous pouvons modifier en tout temps votre Service mensuel, y compris :
- les frais,
- les caractéristiques,
- le contenu,
- la fonctionnalité,
- la structure.
- Nous devons vous transmettre un avis d’au moins 30 jours avant de faire une telle modification.
- Nous ne pouvons pas modifier votre Service mensuel si une Entente de service ne nous permet pas de le faire.
Conditions:
(Cette clause a été clarifiée au meilleur de notre compréhension. Tout bon travail de simplification est le résultat d’une étroite collaboration entre l’expert en communication et l’entreprise concernée pour s’assurer que l’intention originale est bien respectée.)
Certains diront que notre style de rédaction se justifie au nom de la précision juridique. Je leurs répondrais trois choses :
1. Écrire des contrats précis juridiquement mais incompréhensibles ne fait pas de sens.
D’autant qu’il est possible d’écrire des contrats clairs sans perdre la précision juridique qu’ils requièrent. De nombreux projets, réalisés partout dans le monde, en témoignent.
Citibank fait figure de pionnier dans ce domaine. Dans les années 1970, l’entreprise a constaté une baisse considérable du nombre de litiges grâce à la réécriture de ses contrats de prêts en langage clair. Ce n’est pas tout ! Elle a aussi profité d’une réduction de 50% du temps de formation de son personnel, d’une amélioration de l’exactitude de l’information transmise aux clients et d’une augmentation importante de ses parts de marché. Comme quoi le langage clair, c’est aussi payant.
2. Nos contrats sont loin d’être d’une précision juridique parfaite. Réécrire un contrat en langage clair permet souvent de détecter les erreurs, les incohérences et les imprécisions que cachent les formulations obscures de la version originale.
3. Depuis 2013, le CRTC impose aux compagnies de téléphonie sans fil d’avoir des contrats que les clients peuvent facilement lire et comprendre. Si la clarté des contrats est amenée à devenir une norme légale, mieux vaut que les juristes apprennent dès maintenant à écrire de façon à être compris.
Un contrat est un outil de communication: s’il n’est pas clair, il ne communique pas grand-chose. Il est temps que les juristes écrivent des contrats utiles au consommateur; des contrats qui reflètent le caractère d’abord et avant tout humain de toute entente contractuelle. Cela demande de la volonté, de la pratique et du talent.
« It is not the mark of a learned man to express himself in language which others cannot understand. It is the mark of a fool who cannot think clearly. »
Arthur Hoole, (1984) 81 L. Soc’y. Gaz. 2817- Ancien président de la Law Society of England and Wales
Information complémentaire : Le langage clair en droit : pour une profession plus humaine, efficace, crédible et prospère !, Stéphanie Roy, Les Cahiers de droit (Volume 54, numéro 4, décembre 2013, p. 975-1007)
À ce titre, elle accompagne des entreprises et des organismes dans la réécriture de contenus juridiques en langage clair, notamment la réécriture de contrats (elle a notamment participé à la réécriture de la police d’assurance automobile du Québec avec l’AMF). Elle offre également des formations aux juges, aux avocats et aux notaires sur la façon de communiquer le droit efficacement et anime des chroniques télévisuelles et radiophoniques sur divers sujets de droit.