La Martin Luther King du droit!
Martine Turenne
2016-03-02 15:00:00
Car l’inégalité, Nina V (pour Vanda) Fernandez connaît. « Je suis femme, et noire », dit celle qui exerçait jusqu'au 29 février dernier une pratique polyvalente -litige, droit pénal, administratif, commercial, et public- au bureau lavallois de Dunton Rainville et qui vient de rejoindre le cabinet FNC. Enfin, chocolat au lait, ou café au lait, ou, pourquoi pas, cappuccino? « J’ai toutes les saveurs! », dit-elle en riant.
Fille d’un père espagnol originaire de Madrid, et d’une mère haïtienne, elle a quitté son île antillaise natale, avec sa famille, pour immigrer au Canada, à l’âge de deux ans. « J’ai vécu toute mon enfance dans une société majoritairement blanche. Je suis habituée aux regards inquisiteurs. »
Les Québécois en déni
Le Comité égalité a pour mission de sensibiliser la profession juridique aux questions d’égalité et de suggérer des moyens pour éliminer la discrimination. Quand le précédent président a demandé à Nina Fernandez de lui succéder, l’avocate a accepté d’emblée. La discrimination est toujours bien réelle, dit cette ex de McCarthy Tétrault – elle y a fait un stage et été embauchée comme jeune avocate- qui a aussi pratiqué en solo quelques années.
« C’est révoltant. Cela fait plus de 20 ans que je pratique, et les problèmes que j’ai vus au début sont toujours là. Le phénomène de la discrimination est présent à tous les niveaux, malheureusement. En certaines instances, j’ai vu des traitements différents pour mes clients, selon leurs origines. »
Les Québécois, croit-elle, doivent d’abord cesser de penser qu’ils ont réglé le problème depuis longtemps. « Ici, les gens s’imaginent que la discrimination a disparu, que c’est un terme qui ne s’applique plus au Québec. »
Des collègues avocats lui ont demandé ce qu’était le Comité égalité de l’ABC.
-C’est pour dénoncer la discrimination.
-Ben voyons donc! On est en 2016!
Parfois, les remarques sont innocentes, mais néanmoins teintées de préjugés. Certains candidats se font demander, lors d’une entrevue d’embauche: « pourquoi tu as choisi le droit? Vous êtes pas forts en sciences, vous autres? »
Un manque de modèle
Il y a d’abord une problématique de sous-représentation, dans la profession juridique québécoise, de tout ce qui est « racialisé », comme le dit Me Fernandez, c’est-à-dire tout ceux qui ne sont pas des Blancs, francophones ou anglophones.
Même chez les jeunes. « Il y en a un peu plus, mais pas assez. C’est un cercle vicieux. Lorsqu’un jeune, latino, asiatique ou noir, décide d’aller en droit et qu’il regarde la profession, il se dit : ``je n’ai pas ma place-là``. Il manque de role model. Qu’est-ce qui va l’encourager à postuler en droit? On se retrouve ainsi avec peu de candidats. »
Nina Fernandez estime qu’il y a une plus grande diversité au Canada anglais qu’au Québec.
« Le problème est plus aigu ici. Peut-être en raison d’un manque de ressources ou de regroupements, comme le Canadian Association of Black Lawyers. »
Une meilleure formation
Durant son mandat au comité égalité, Me Fernandez veut mettre l’accent sur la formation à la diversité, à tous les niveaux, tant dans la magistrature que chez les juristes.
« J’ai plusieurs projets en tête. L’un d’eux est de mettre sur pied une formation qui sera reconnue par le Barreau. » Il s’agira pour les juristes de mieux percevoir, et ultimement de changer, certains de leurs réflexes conditionnés qui peut constituer un comportement discriminatoire.
Nina V. Fernandez souhaite aussi créer un prix reconnaissance pour le cabinet qui se sera le plus démarqué en matière de diversité, soit au niveau de l’embauche, de la formation ou des initiatives. « Il faut faire en sorte que cette cause progresse vraiment. »