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Aide juridique: le salaire des avocats est-il une farce?

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Céline Gobert

2016-11-03 15:00:00

Sept avocats sur dix de l’aide juridique gagnent moins de 20 000 $ soit moins que le salaire minimum! Le Jeune Barreau de Montréal publie un rapport explosif sur leur condition de travail…
Me Extra Junior Laguerre est président du Jeune Barreau de Montréal
Me Extra Junior Laguerre est président du Jeune Barreau de Montréal
Près de neuf avocats sur 10 (85%) du secteur privé font moins de 50 000 $ d’honoraires provenant de l’aide juridique, révèle le Jeune Barreau de Montréal (JBM) dans un rapport publié mercredi. Pire: près de 7 avocats sur 10 ne touchent même pas le salaire minimum. Et ils sont seulement 6% à gagner plus de 100 000 $ par an.

Ce ne sont pas les seuls chiffres du rapport qui font bondir. Ainsi, en criminel, un avocat sera rémunéré 550 $ pour un procès pour acte criminel, 330 $ pour une cause sommaire - ce qui équivaut à travailler pour 20 $ de l’heure. Le système est ainsi fait qu’il est plus rentable de faire plaider coupable le client. Parmi les dérives constatées, certains avocats peu scrupuleux n’hésitent alors pas à prendre beaucoup de clients, et à les faire plaider coupable, afin de s’enrichir. Certains peuvent ainsi gagner 200 000 $ par année.

En immigration, un avocat qui fait une demande de résidence pour raisons humanitaires touchera 200 $. En droit des personnes, une garde en établissement lui sera rémunérée 190 $, en matières familiales, une contestation de paternité permet de gagner 100 $ contre… 2000 $ au privé! En Commission des lésions professionnelles, plusieurs jours d’audience et de préparation de dossiers ne rapportent que 350 $ à l’avocat. Soit moins de 10$ de l’heure.

Une vaste farce?

« Oui, on pense qu’il y a un problème, répond Me Extra Junior Laguerre, le président du JBM avant d’ajouter que les avocats ne sont clairement pas rémunérés à la hauteur du travail effectué.

Pour remédier à la situation, le rapport du JBM propose 21 recommandations tant sur l’admissibilité et la couverture de l’aide juridique que sur la rémunération des avocats qui acceptent ce type de mandats, souvent « par choix » comme le confirme par ailleurs Me Gaël Morin-Greene, porte-parole du Comité aide juridique de l’Association des juristes progressistes (AJP) qui s’est associé par communiqué à la grogne du Jeune Barreau.

Lui-même doit exercer un autre emploi pour parvenir à subvenir correctement à ses besoins. « Les montants accordés aux avocats de l’aide juridique sont beaucoup trop bas, parfois ils ne nous permettent pas de gagner le salaire minimum, explique-t-il. Une fois que j’ai payé mon bureau, mon assurance, ma cotisation au Barreau, ma taxe commerciale : que me reste-il? ». Pas grand chose.

La bâtonnière Claudia P. Prémont s'est jointe aux revendications
La bâtonnière Claudia P. Prémont s'est jointe aux revendications
Parmi les 21 recommandations de son rapport, le JBM préconise donc une augmentation de ces tarifs, afin que ceux-ci tiennent compte de la valeur du travail réalisé. Même son de cloche du côté des membres de l’AJP : il faut indexer les montants accordés dans les années 1980 au coût de la vie d’aujourd’hui - ce qui n’a pas été fait par les gouvernements successifs.

À ce titre, le JBM préconise de s’inspirer du régime ontarien où l’avocat est payé entre 109 $ et 136 $ de l’heure. En 2010, le Barreau du Québec remettait d’ailleurs déjà un rapport dans lequel il pointait du doigt le manque d’investissement du gouvernement provincial québécois dans la justice par rapport à l’Ontario. En Ontario, le nombre d’heures est ainsi préalablement fixé pour chaque dossier, et si l’avocat n’a pas le temps de terminer il peut se tourner vers l’organisme de l’Aide juridique, explique Me Laguerre.

Le Barreau s’est joint aux revendications du JBM et recommande la diminution des délais d'obtention des mandats. « Les praticiens appelés d'urgence pour représenter un client ont parfois le temps de faire tout le travail avant même d'avoir obtenu le mandat. Dans ces circonstances, si le mandat est refusé, ils auront fait le travail bénévolement, ce qui peut les rendre hésitants à s'engager de nouveau » a ainsi illustré la bâtonnière Claudia P. Prémont.

Des situations alarmantes

La conséquence directe de ces bas tarifs est la baisse drastique du nombre d’avocats acceptant des mandats d’aide juridique. Le JBM constate d’ailleurs une diminution du tiers en 25 ans. Ce n’est pas étonnant selon Me Morin-Greene. « On accepte de représenter des gens - et on le fait consciencieusement - contre des montants dérisoires. On se met finalement à subventionner l’accès à la justice car lorsque le montant alloué ne permet pas d’assurer le salaire minimum, on se retrouve à effectuer du travail non payé. »

D’autres avocats n’hésitent pas à quitter la pratique faute de pouvoir en vivre. « Le problème est qu’en raison de l’augmentation des seuils d’admissibilité, il y a de plus en plus de dossiers, détaille à Droit-inc Me Laguerre. La demande augmente mais l’offre diminue! Il faudrait s’assurer qu’une fois sa demande d’aide juridique acceptée, une personne ait accès à un avocat, sinon ça n’améliore pas l’accessibilité à la justice. »

Les informations colligées par le JBM pendant plus de quatre ans font également état de situations alarmantes liées à cette rémunération problématique : une avocate confie ainsi que son revenu était supérieur lorsqu’elle était étudiante, d’autres témoignent de pratiques de facturation illégales auprès de clients en immigration, d’autres déplorent que dans de nombreux domaines, comme celui des lésions professionnelles, il est difficile de retenir les services d’experts (médicaux, par exemple) compte tenu des montants versés.

Procédure et manuel de facturation

Me Gaël Morin-Greene oeuvre au sein de l'AJP.
Me Gaël Morin-Greene oeuvre au sein de l'AJP.
Selon le JBM, il faut envisager la création d’une procédure afin d’établir, et ce dès le début du mandat, le nombre d’heures que l’avocat pourra facturer dans un mandat donné, comme le fait l’Ontario donc. Cette évaluation doit pouvoir être revue en cours de mandat en cas d’imprévus ou de complexités inattendues.

Enfin, le JBM préconise la création d’un manuel de facturation pour les avocats de pratique privée afin de rendre le processus plus transparent ainsi que le remboursement intégral des frais payés par l’avocat - ou au moins, une rémunération supplémentaire pour couvrir les frais de bureau. La facturation intérimaire doit être permise afin de soutenir l’avocat tout au long du dossier, car certains dossiers s’étendent sur « des mois, voire des années » dit Me Laguerre. Autant de temps passé sans être payé.

Cette question des déboursés est également soutenue par le Barreau. Selon Me Prémont, les avocats de la pratique privée doivent avoir accès à une liste d'experts qui acceptent de travailler selon la tarification offerte par la Commission des services juridiques. Ce qui « ne semble pas être le cas présentement » et cela peut causer des inégalités au sein même du système, conclut-elle.

Pour lire le rapport du JBM au complet, cliquez ici.

Pour rappel, le système d’aide juridique a été mis sur pied en 1972 suivant la nécessité de garantir l'égalité des droits et un accès à la justice pour toutes et tous. Son objectif est d’assurer facilement l’accessibilité à un avocat à la population la plus vulnérable.

Quelque 2 200 avocats de pratique privée acceptent des mandats de l'aide juridique et ils ont en moyenne 16 années d'expérience.







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10 commentaires
  1. François Leduc
    François Leduc
    il y a 8 ans
    Misère juridique
    Pour avoir été confronté à la bureaucratie de l'aide juridique, la situation n'est guère surprenante. Lorsque vous acceptez comme avocat un mandat sur l'aide juridique dans le cadre d'un article 69 devant un tribunal de première instance et que vous perdez, les clients dont la situation financière a changé ne se représente pas aux rendez-vous d'aide juridique et vous n'êtes pas payé. Et si vous gagnez en appel, les clients refusent de payer le pourcentage convenu même si la loi et l'article 69 exigent que l'avocat convienne d'une convention à pourcentage si vous gagnez. L'aide juridique peut vous contraindre à être payé au tardif de 750$ devant le Tribunal administratif du travail(ancienne CRT)et exiger que vous taxiez le mémoire de frais 500$ (avant le NCPC) devant la Cour supérieure sans autre honoraire pour cette instance et ne pas être payé par l'aide juridique. Aujourd'hui le problème est réglé puisque la Commission des normes du travail(CNESST) financée par les employeurs offre ¨gratuitement¨ en dernier recours, et après deux médiations ratées, un avocat salarié des normes du travail et la loi d'aide juridique a été amendée pour que si un service gratuit de l'Etat est disponible, il n'y a pas de mandat d'aide juridique émis pour un avocat de pratique privée, comme au bon vieux temps de l'ère soviétique. Même les avocats de l'Etat en grève revendiquent actuellement le principe de leur indépendance. Cela est éloquent. L'indépendance et les libertés professionnelles ont foutu le camp et le Barreau est bien discret sur ce terrain parce que la situation de l'aide juridique concerne des groupes de la société sans pouvoir et sans voix: les assistés sociaux et les personnes au salaire minimum. C'est sans compter toutes les situations de conflits d'intérêts que l'on peut imaginer avec un tel système (loyauté envers le client ou l'employeur de la CNESST?), recours contre la division SST en lésion professionnelle contre les avocats de la division SST et représentation par l'avocat de la CNT dans le cadre d'une plainte d'harcèlement. Le serpent qui bouffe sa queue ne ferait pas mieux.

  2. Avocado
    Avocado
    il y a 8 ans
    Entrepreneurs privés
    Les avocats/tes qui acceptent des mandats de l'aide juridique ne sont pas des salariés mais des travailleurs autonomes. Ils sont libres d'accepter des mandats privés en plus d'avoir formulés de nombreuses remise pro forma pour faire augmenter la facture.
    Avocado

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      Avocate
      Ce que vous dites est faux. Les remises Pro Forma ne sont pas payées par l'aide juridique.

      Au criminel une infraction sommaires est 365$ que l'on fasse le procès ou que l'on plaide coupable. Si tu n'es pas l'avocat ayant fait la comparution, il faut couper 60$ de ce montant.

    • avocate
      avocate
      il y a 8 ans
      wow
      Wow... quel manque de perspective. Le rapport (si vous l'avez lu) met aussi en évidence le fait que le mode de tarification actuel fait en sorte que plusieurs avocats refusent tout simplement de prendre certains mandats en raison du champs de pratique concerné ou en raison de la complexité d'un dossier. Par conséquent, cette situation a un impact direct sur l'accessibilité à la justice. Effectivement l'avocat(e) est libre d'accepter ou non un mandat d'aide juridique, il-elle choisira ses dossiers d'aide juridique et ce ou ces choix laisseront de côté plusieurs personnes en marge du système de justice, incapables de faire valoir leurs droits. Autre point: quand on commence notre pratique, les premières années peuvent être assez difficiles sur le plan financier et pour beaucoup, l'aide juridique n'est pas un choix, mais un nécessité. Il serait donc normal pour les jeunes avocats de recevoir un revenu décent, c'est-à-dire un revenu qui ne se situe pas sous le salaire minimum.

    • ti mé
      ti mé
      il y a 7 ans
      Re avocado
      Les tarifs sont forfaitaires et le nombres de remise ne change en rien la facture finale. 550$ ou 330 $ peut importe le nombre de remise

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Avocate
    Il faut comprendre également que le délai d'obtention des mandats dépend souvent en grande partie du client, qui néglige de fournir ses documents financiers prouvant son admissibilité à l'aide juridique.

    • MBG
      lol
      ça prend 2 sem à 1 mo pour avoir un RV avant même qu'il aie l'occasion de fournir les documents.

  4. MBG
    Sans mots
    Je ne m'en reviens pas! je pensais que j'étais le seul. Comment se fait-il qu'il y a autant de consensus, autant d'avocats visés et on n'en parle pas? 7 avocats sur 10 en bas du salaire minimum!!! La moindre chose qu'on peut faire, c'est d'en parler à gauche et à droite. Personne n'en parle. Merci pour le JBM, mais leur rapport a pris trop de temps.

  5. gerus, ewa
    gerus, ewa
    il y a 8 ans
    on parle d'accessibilité de la justice. mais
    On parle trop souvent d'accessibilité à la justice, mais encore faut-il que les avocats qui le préconisent, peuvent supporter leur pratique.

    C'est très désolant, mais vrai. J'en fais partie, je suis très en défense de l'accessibilité de justice, mais avec les frais que cela coûte un bureau, la solution : permettre aux avocats de facturer de façon intérimaire du moins, et non attendre 1 an, car on ne peut plus aller plus longtemps. Je préconise qu'on forme un groupe nous les avocats, qui pratiquons en matière d'aide juridique. J'estime important que les justiciables se font représenter par des avocats, qui peuvent continuer à les représenter en gagnant un salaire acceptable.

  6. Réal Nadeau
    Réal Nadeau
    il y a 4 ans
    Théologien retraité
    Il y a un problème CERTAIN qui peut affecter la justice envers le justiciable.

    Lors du procès d'Alexandre Bissonnette , les avocats de l'aide juridique à son service se sont absentés de la cour une journée pour participer à une manifestation publique pour demander au gouvernement la parité de salaire avec les avocats de la Couronne.

    Il saute aux yeux que cette disparité est préjudiciable aux justiciables peu fortunés, pour lesquels l'aide Juridique a été établie.Incroyable que ce conflit existe au Ministère dit de la JUSTICE !

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