Raisonnable à... 13 ans?
Jean-francois Parent
2017-11-03 11:15:00
Et l'huissier peut tout à fait décider que le gamin est effectivement une personne raisonnable à qui il peut remettre l'avis de saisie.
Un enfant seul
C'est un vendredi d'octobre 2013 que l'huissier Jean Jobin, de Saulnier Robillard Lortie, va porter une ordonnance de saisie-exécution visant la propriété de Archat On. BMO voulant récupérer sa créance de 12 000 dollars, elle obtient une ordonnance permettant la saisie de la maison, qu'elle revendra plus tard 205 000 dollars.
Le fils de Mme On, Jimmy Ye, est seul à la maison.
L'huissier, jugeant qu'il a affaire à une personne raisonnable, lui remet la signification, et procède à la saisie de la résidence.
Archat On conteste la validité de la procédure, alléguant notamment que son fils n'est pas apte à recevoir une saisie-exécution et que cette dernière est donc irrégulière.
La Cour du Québec déboute Mme On en décembre 2015, et cette dernière interjette appel.
Le banc de trois juges de la Cour d'appel, Marie Saint-Pierre, Mark Schrager et Patrick Healy, vient juste de rendre un verdict qui confirme le jugement de première instance.
C'est Giacomo Zucchi, de Sylvestre Painchaud, qui a plaidé pour l'appelante Archat On.
Nicolas Héon Bourgeois, de Bélanger Sauvé, représentait l'intimée BMO.
Personne raisonnable
L'essentiel du débat tourne autour du critère de personne raisonnable.
En effet, en première instance, on avait donné raison à l'huissier de conclure « que Jimmy Ye était une « personne raisonnable » à qui il pouvait signifier », au sens de l’article 123 a.C.p.c.
L'article dispose que « la signification (…) peut être faite à domicile, en laissant la copie au domicile ou à la résidence du destinataire, aux soins d’une personne raisonnable et qui y réside ».
La Cour d'appel remarque qu'en première instance, la juge Brigitte Gouin estime que « Jimmy Ye, fils de la défenderesse (…) a la faculté de penser, peut agir conformément aux principes enseignés par sa mère du bien et du mal (et) est capable de bien comprendre les conséquences de ses gestes ».
Sans compter que la mère elle-même jugeait son fils suffisamment mature pour rester seul à la maison.
Jugement professionnel
Reste à voir comment l'huissier a jugé que Jimmy Ye était une personne raisonnable.
D'abord, une fois qu'il établit, selon son jugement professionnel, que l'enfant est tout à fait capable de comprendre ce qui se passe, et qu'il est impossible qu'on rejoigne sa mère, il estime que l'absence d'une gardienne à la maison signale que l'enfant est capable de se garder tout seul.
La présence d'une gardienne aurait signalé que l'enfant n'était pas raisonnable au point qu'on le laisse seul à la maison. « Dans le cas contraire, je crois que c’est une personne raisonnable », dira Jean Jobin en contre-interrogatoire.
Mais savoir si l’enfant est seul à la maison ou non n'est pas le test final, parce que « un enfant qui a sept (7) ans qui est à la maison, mais ça veut pas dire qu’à ce moment-là, il est raisonnable. Là, à ce moment-là, on parle de quelqu’un d’irraisonnable qui l’a laissé tout seul ».
Jurisprudence
La cour d'appel en rajoute, signalant que non seulement l’article 123 a.C.p.c. ne dit pas que la signification doit être remise à une personne majeure, mais à une personne raisonnable. Les juges remarquent en outre « qu’une personne majeure n’est pas nécessairement une « personne raisonnable », alors qu’il n’est pas requis d’être majeur pour en être une ».
Au Québec, l'âge auquel on est une personne raisonnable est flexible. « Le juge a la tâche, en effet, de jauger le développement mental particulier à chaque enfant, sa précocité et l’éveil de son intelligence », écrit la cour d'appel.
Elle rappelle qu'en matière familiale, « la jurisprudence veut que le désir exprimé par un enfant âgé de 12 ans et plus (...) soit largement déterminant ».
La cour d'appel maintient donc la validité de la saisie-exécution immobilière.