Allez-vous prendre le virage techno en 2018 ?
Jean-Francois Parent
2018-01-11 11:15:00
Alors que des cabinets n'ont toujours pas intégré leur système comptable à leurs outils de gestion du temps, d'autres utilisent l'analytique pour mousser leur développement d'affaires.
L’impact technologique est parfois anodin : les clients s'attendent à—et insistent pour avoir—une réponse rapide, voire immédiate, de leur courriel. On doit réorganiser son temps, et réfléchir : donne-t-on un avis légal, un conseil ou simplement un point de vue sur un dossier?
C'est parfois sournois : les tâches cléricales autrefois réservées aux avocats sont offertes en ligne, à une fraction du coût, d'où une perte de revenus importante forçant les cabinets à se réinventer pour maintenir leur rentabilité.
Ou alors, c'est parfois cataclysmique : l'analytique et les algorithmes permettent de prédire l'issue d'un procès ou de mesurer le potentiel litigieux d'une situation ou d'un produit, donnant une longueur d'avance sur la concurrence aux juristes rompus à ces technologies.
Les cabinets doivent y mettre des ressources
Dans l'immédiat, le marché regorge d'outils d'analyse de contrat et de produits permettant l'automatisation de certaines vérifications, explique Éric Lavallée, responsable du Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle (L3IA).
Tout cela génère un grand enjeu pour les cabinets, dit-il : « Il faut se familiariser avec ces concepts, il faut les comprendre; il va falloir avoir au moins une personne dans chaque cabinet pour s'attaquer à cette tâche », poursuit l'avocat spécialisé en propriété intellectuelle et en intelligence artificielle.
Cela, sans compter que tant le public en général et les clients des cabinets en particulier ont de plus en plus accès aux avancées de l'intelligence artificielle.
Ainsi, la révision de contrats par exemple est répandue dans les pays anglo-saxons, de même que la traduction juridique. « Dans les textes de brevets, on est de plus en plus précis », ajoute Éric Lavallée.
Ces outils, qui peuvent s'adapter aux situations et aller au-delà de l'automatisation, ne sont pas encore très fréquents au Québec.
« On est rendus à tester les produits et à les évaluer, mais pas à une utilisation à grande échelle », précise Me Lavallée. Il reste que ces outils sont à la disposition du grand public, « faisant en sorte que les clients peuvent simplement faire réviser leurs contrats par un service d'intelligence artificielle ».
Surtout utilisée dans les juridictions de common law, l'industrie juridique québécoise est encore relativement imperméable à cette concurrence. Mais ça ne saurait durer, puisque dès que l'adaptation sera faite pour tenir compte du Code civil, ce seront d'autres parts de marchés des cabinets qui s'envoleront.
Les outils d'intelligence artificielle et d'analytique, alimentés par d'impressionnants volumes de données, misent justement sur l'ubiquité de ces dernières. À ce chapitre, le milieu juridique québécois peut certainement tirer son épingle du jeu. « Avec le forage de données—le data mining—on peut mieux estimer les risques dans un dossier », selon Éric Lavallée.
Cible privilégiée des pirates
Lavery n'est pas la seule firme à exploiter le monde numérique.
La gestion de preuve électronique, une technologie utilisée depuis une quinzaine d'années, fait maintenant partie du quotidien de bien des cabinets. Et balise quelque peu la suite des choses.
« La technologie, c'est un continuum », explique Karl Tabbakh, associé directeur, pour le Québec, chez McCarthy Tétrault. « Quand on a fait l'acquisition de Wortzman, cabinet spécialisé dans la gestion de la preuve électronique, on n'a pas juste acheté une technologie; on a acquis un laboratoire d'idées. »
Le machine learning, les algorithmes d'apprentissage, tout cela est maintenant axiomatique du développement de McCarthy.
Sans compter que « les bureaux d'avocats sont la deuxième plus grande cible des pirates informatiques. Il faut donc continuer d'investir dans la protection des données », ajoute Me Tabbakh.
Au final, on n'y coupe pas : « C'est certainement l'époque où il faut absolument se préoccuper de ces enjeux. On ne peut passer à côté; les cabinets ne peuvent pas de permettre de ne pas avoir au minimum un chef de l'innovation », conclut Karl Tabbakh.