Les juges sont-ils à l’abris du #moiaussi ?
Jean-francois Parent
2018-03-21 14:30:00
Journaliste au magazine LawyersDaily (édité par NexisLexis), elle a ainsi appris que deux plaintes avaient été faites contre des magistrats en 2012. Ce sont les seules plaintes enregistrées dans la dernière décennie, selon le magazine.
L'une des plaintes alléguait qu'un juge de la Cour supérieure de l'Ontario avait eu des propos déplacés et qu’il avait touché certaines parties du corps d'une de ses employées. Pendant l'enquête du CCM, le juge a pris sa retraite.
« Cet incident n'a vu le jour que lorsque le LawyersDaily a demandé au CCM combien de plaintes à caractère sexuel visaient les 1 158 juges des cours supérieures au pays », écrit le magazine.
L'avocat et directeur général du CCM, Norman Sabourin, a expliqué au LawyersDaily qu'il n'y avait eu, à sa connaissance, que deux plaintes de nature sexuelle. Celles-ci ont été reçues en 2012. La première a été citée plus haut. La deuxième, qui concerne un juge toujours en exercice, révèle que des employés chargés de réparer l'ordinateur du juge avaient été exposés « par inadvertance » au matériel pornographique que le juge avait téléchargé.
Une plainte n’est pas toujours une option
Dans la foulée du mouvement de dénonciation #MoiAussi, qui a affligé plusieurs secteurs comme la culture et les sports, certains refusent de croire que ces deux incidents soient les seuls à s'être produits dans les palais de justice du pays.
C'est le cas de la plaideuse torontoise Simona Jellinek, qui représente des victimes d'agressions sexuelles. Selon elle, le dépôt d'une plainte de nature sexuelle contre un magistrat n'est pas une option pour plusieurs, employés ou juristes, étant donné « les relations de pouvoirs, les sensibilités et les répercussions potentielles » qu'une telle plainte peut avoir sur une carrière.
Pour la sénatrice indépendante Marilou McPhedran, juriste de formation et spécialiste du harcèlement dans les milieux professionnels, « si on a affaire à une plainte (de cette nature), la situation est très sérieuse pour la profession, et elle doit être mise sur la table », dit-elle.
La sénatrice exhorte le milieu à remettre en question la confidentialité des situations délictuelles. S'il n'existe pas de mécanisme d'examen des plaintes qui soit public et transparent, dit-elle en substance, alors « il n'existe pas suffisamment d'information sur le phénomène pour que le milieu juridique soit en mesure d'affirmer que les choses vont bien. Si on sait une chose concernant l'exploitation et le harcèlement sexuel commis par ceux qui sont en relation de pouvoir, c'est que les plaintes sont beaucoup moins nombreuses que les incidents vécus ».
Elle ajoute que les cas d'autocensure sont nombreux, notamment chez les femmes aux premiers échelons de la profession juridique. On joue trop facilement sa carrière à se plaindre de comportements inappropriés, soutient Marilou McPhedran dans les pages du LawyersDaily.
Le CCM se défend bien de jouer l'autruche, se disant vigilant et conscient que les avocats et les employés des palais de justice « sont dans une position vulnérable et qu'ils doivent bénéficier de toute la protection possible », dit Norman Sabourin au magazine. Il signale d'ailleurs que le CCM est le seul de son genre à réagir aux plaintes anonymes et à protéger cet anonymat le cas échéant.
Norman Sabourin n'a pas répondu rapidement à nos demandes de commentaires.