Jeune avocate voilée, le PL 21 casse ses rêves!
Nour Farhat
2019-04-29 15:00:00
C’est après avoir effectué mon stage en droit à titre de procureure d’une société d’État que j’ai trouvé ma vocation de travailler pour l’intérêt public et de participer activement dans le fonctionnement de nos institutions judiciaires.
C’est ainsi que j’ai développé un intérêt particulier pour le droit criminel puisqu’il soulève des enjeux humains et sociaux fondamentaux. C’est également un droit qui comporte des obligations et responsabilités énormes, que ce soit à l’endroit des accusés, des intervenants du système de justice ou du public.
Depuis, je caresse le rêve de devenir procureure de la Couronne. Pour y parvenir, je complète présentement des études de cycles supérieures en droit criminel et pénal.
Or, je suis une jeune avocate qui porte le voile et le projet de loi 21 fait obstacle à mes rêves et ambitions et ce, sur la base de mes croyances religieuses.
Le 27 mars dernier, le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État. Il propose entre autres une interdiction du port de signes religieux chez les agents de l’État qui incarnent l’autorité de l’État et qui exercent un pouvoir coercitif, soit notamment les juges, les policiers et les procureurs de la Couronne.
Le projet de loi est discriminatoire et aura des effets indiscutables sur les droits fondamentaux des personnes appartenant à des minorités religieuses.
La restriction faite au port de signes religieux contrevient au droit à l’égalité fondé sur la religion et le sexe, ainsi que, plus spécifiquement, le droit à la liberté de conscience et de religion. Il s’agit pourtant d’un droit protégé tant dans la Charte canadienne des droits et libertés que dans la Charte des droits et libertés de la personne.
Les clauses dérogatoires, un aveu
En tant qu’avocats, nous connaissons les fondements du droit constitutionnel : tous les droits enchâssés dans les Chartes sont essentiels et doivent tous être interprétés les uns en fonction des autres et il appartient au gouvernement de justifier toute atteinte aux droits fondamentaux selon les critères de l’arrêt Oakes. Or, le recours aux clauses dérogatoires constitue un aveu du gouvernement Legault que le projet de loi ne respecte pas les droits et libertés fondamentales garantis dans les Chartes.
Il faut par ailleurs souligner que pour les avocates et avocats, le projet de loi 21 va beaucoup plus loin que l’interdiction pour les agents de l’État qui exercent un pouvoir coercitif. L’interdiction s’appliquerait également à d’autres fonctionnaires et employés de l’État qui travaillent dans le système de justice.
Ainsi, non seulement une personne portant un signe religieux ne pourra exercer la fonction de juge ou de procureur de la Couronne, elle ne pourra exercer la fonction d’avocat dans les différents ministères québécois ou aux bureaux régionaux de l’aide juridique, ni occuper le poste de greffier d’une cour municipale, par exemple.
Il s’agit là d’un véritable obstacle à l’accès à l’emploi des avocates et avocats appartenant à des minorités religieuses.
Le projet de loi indique que la laïcité de l’État repose soi-disant sur la séparation de l’État et des religions, la neutralité religieuse de l’État, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes ainsi que la liberté de conscience et la liberté de religion. Or, la séparation de l’État et de la religion et la neutralité religieuse ne devraient être des obstacles au droit à l’égalité, ils se doivent plutôt de protéger les membres de la société, notamment contre l’ingérence des autorités religieuses dans les institutions étatiques.
Pour une laïcité ouverte et égalitaire
Le gouvernement doit promouvoir une laïcité ouverte et égalitaire. Il sied de rappeler que la neutralité des institutions de l’État s’articule autour des principes de la primauté du droit, du respect des institutions démocratiques et du respect des droits des minorités.
Cela va de soi, un agent de l’État, un avocat notamment, doit faire preuve de neutralité et de réserve en ce qui a trait à l’expression de ses croyances religieuses dans l’exercice de ses fonctions. Ses décisions dans le cadre de ses fonctions se doivent d’être impartiales peu importe son apparence ou ses convictions religieuses.
Or, la manifestation extérieure de la croyance religieuse individuelle d’une personne n’engage qu’elle-même et l’État, garant de toutes les droits et libertés fondamentales, ne saurait y être attaché.
Il appartient au gouvernement de prendre en considération l’effet discriminatoire d’un tel projet de loi dans l’accès à la fonction publique, particulièrement qu’aujourd’hui, pour une personne appartenant à une minorité ethnique ou religieuse, le chemin vers un emploi dans la fonction publique au Québec reste semé d’obstacles.
Il appartient également aux avocates et aux avocats du Québec de s’opposer à un projet de loi qui porte atteinte aux droits et discrimine, sans réel motif et urgent, certains de leurs confrères et consœurs.