Entrevues

Aide juridique : voyage en Absurdistan!

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Jean-francois Parent

2019-05-15 15:00:00

Un avocat est encore ébranlé par un long dossier cauchemardesque. Tout ça pour gagner au total 550 $. Il se confie à Droit-inc…
Me Félix-Antoine T. Doyon
Me Félix-Antoine T. Doyon
Les dossiers complexes le sont-ils trop pour être traités adéquatement, et équitablement, lorsqu’on a recours à l’aide juridique?

Poser la question, c’est y répondre, soutient le plaideur Félix-Antoine T. Doyon.

Ébranlé des quelque 200 heures consacrées, gratuitement, à un dossier, Me Doyon vient d’obtenir que son client subisse un nouveau procès, à la lumière d’une preuve nouvelle qu’il a fallu près de deux ans à compiler, faute de ressources.

Une absence de ressources faisant en sorte que « des erreurs judiciaires sont carrément susceptibles de surgir », soutient Me Doyon, du cabinet Labrecque Doyon, à Québec.

La juge en chef du Québec Nicole Duval Hesler.
La juge en chef du Québec Nicole Duval Hesler.
Nouveau procès

Dans une décision rendue sur le banc le 29 mars dernier, la Cour d’appel ordonne ainsi un procès pour un homme reconnu coupable d’homicide involontaire, jugeant « qu’il n’était pas raisonnablement possible de présenter cette preuve (nouvelle) au procès ».

Un nouveau procès est d’autant plus nécessaire que le banc de trois juges, auquel a participé la juge en chef du Québec Nicole Duval Hesler, est « unanimement d’avis qu’il s’agit d’une preuve (...) susceptible de jeter un éclairage différent sur la preuve médicale offerte lors du procès ».

La Cour d’appel avait accepté l’an dernier d’entendre le pourvoi contre la déclaration de culpabilité sur la base d’une nouvelle preuve, soit la contre-expertise d’une preuve médicale soumise par la Couronne, faisant plus de 1000 pages.

La défense, en première instance, « a demandé l’assistance d’un collègue vu la complexité de l’affaire; la demande lui a été refusée », écrivent les juges, ajoutant que Me Doyon « a demandé pas moins de 13 experts avant d’en trouver un qui accepte d’agir sur mandat d’aide juridique. »

En Cour d’appel, Félix-Antoine T. Doyon a plaidé en compagnie de sa collègue Kamy Pelletier-Khamphinith, Barreau 2013, également chez Labrecque Doyon.

Cette dernière a d’ailleurs collaboré à l’ensemble du dossier, mais en pro bono, l’aide juridique ayant refusé de lui concéder un mandat en appui à Me Doyon.

Un bébé secoué

Kamy Pelletier-Khamphinith, Barreau 2013, également chez Labrecque Doyon.
Kamy Pelletier-Khamphinith, Barreau 2013, également chez Labrecque Doyon.
C’est en 2015 que Michée Roy est accusé d’homicide volontaire coupable, pour une triste affaire de bébé secoué.

La preuve de la couronne s’appuie sur une volumineuse expertise médicale. Détenu depuis un an, l’accusé sollicite en janvier 2016 les services de Me Doyon pour sa défense. Ce dernier accepte le mandat d’aide juridique et monte son dossier.

Mais le Barreau 2012 était loin de se douter qu’il allait ferrailler pendant des années avec l’appareil médico-légal, l’aide juridique et le système de justice. Dénicher un expert qui l’aidera à contester la preuve, dans le contexte d’un mandat d’aide juridique, est pratiquement impossible.

Pourtant, pas question d’aller à procès sans contre-expertise, se dit-il, il en va du droit de son client d’avoir une défense pleine et entière. Il déniche finalement un tel expert en Ontario, qui accepte de contre-expertiser la preuve à ses frais.

C’est trop peu, trop tard, le procès vient d’avoir lieu et son client, Michée Roy, est reconnu coupable en mars 2017.

Témoin expert

Me Doyon déplore qu’un dossier qui « commande une préparation extrême » puisse être accordé dans le cadre d’un mandat d’aide juridique sans égards aux conditions particulières du dossier.

Rien que les palabres sur la date du procès ont pris une année complète. Il fallait dénicher un expert—qu’il faut convaincre de faire le boulot pro bono—, se familiariser avec la preuve médicale, se former sur le tas pour être en mesure de la contester… tout ça pour « 550 dollars pour l’ensemble du dossier », ça frise la folie.

Le montant initial peut toutefois être majoré à la fin du parcours. Il reste que « depuis l’arrêt Jordan, on ne tolère plus que les avocats soient mal préparés », ce qui le pousse donc lui, et d’autres dans son cas, à faire d’énormes sacrifices personnels et professionnels. En espérant pouvoir être remboursés pour les excédents en fin de parcours.

Ce manque de ressource, c’est évidemment son client Michée Roy, qui en fait les frais. Emprisonné depuis le début 2015, il aura passé plus de quatre ans en prison lorsque la date de son nouveau procès sera connue, le 7 mai prochain.

Des ressources manquantes

Me Doyon s’insurge contre les ressources manquantes dans ce dossier.
Me Doyon s’insurge contre les ressources manquantes dans ce dossier.
Pour s’attaquer à des dossiers de cette ampleur, « il faut être en mesure d’avoir des ressources en amont, et non pas à la fin du dossier. Et la loi telle qu’elle est actuellement, ne contient pas de mécanismes pour avoir accès à ces ressources », s’insurge Me Doyon.

Plus troublant encore, on impose quasiment aux avocats d’avoir recours au bénévolat pour mener à bien la défense de leurs clients. C’est qu’il n’est pas « acceptable déontologiquement de piloter un dossier sans avoir, à tout le moins, vérifié si les opinions médicales qui découlent de la preuve à charge ne peuvent pas être mises en doutes », poursuit Me Doyon.

Encore ici, on frappe vite un mur. « Par exemple, la requête pour nouvelle preuve, n’est même pas tarifée dans la Loi sur l’aide juridique », poursuit Félix-Antoine T. Doyon.

On ne tient donc pas compte d’une telle éventualité, pas plus qu’on ne croit qu’elle puisse se produire.

Conséquences lourdes

Une situation d’autant plus alarmante que le sous-entendu est lourd de conséquences : il y a peut-être, dans les salles des pas perdus du Québec, plusieurs dossiers tout aussi complexes qui ne peuvent être défendus adéquatement…

Il y a plus. « Ce qui est absurde, c’est qu’il faille présenter des requêtes en constitutionnalité pour expliquer pourquoi on aurait droit à des ressources. Concrètement, il faut que je mobilise du temps de cour pour que le tribunal ordonne à l’aide juridique de me donner les ressources nécessaires… »

Il est une autre morale que Félix-Antoine T. Doyon tire de cette affaire.

« Pour certains dossiers, il faut encourager les avocats d’expérience à piloter des affaires complexes, ne serait-ce que pour garantir aux prévenus une assistance effective. Si j’avais eu plus d’expérience, j’aurais pu aller droit au but plus rapidement, et plus facilement. Au bénéfice de mon client. »

Ce qui semble clairement impossible avec les balises actuelles.




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