Le « tiers-monde » en matière de justice
Mathieu Galarneau
2019-12-09 11:15:00
En tout, 14 avocats et notaires bénévoles ont pris part à cette grande aventure depuis son commencement. Il s’agit de Mes Dana Chevalier, Chloé Vendette, Marie-André Denis-Boileau, Myriam Gaudreault, Stella Croteau, Isabelle Gagnon, Helena Lamed, Maryse Larocque, Geneviève Parent, Angela Di Virgilio, Véronique Talbot, Julien David-Pelletier, Christine A. Carron, Nancy Leggett-Bachand, Chloé Beaudet-Centomo et de la collaboratrice Catherine Houde.
Ils avaient le mandat de fournir informations et conseils juridiques à des centaines de citoyens dans le cadre des différentes cliniques.
En matière de justice, la directrice générale de Justice Pro Bono, Me Nancy Leggett-Bachand parle de « petites victoires ». D’abord, les cliniques permettent de faire voir de nouvelles facettes du droit aux Inuits, qui ont plutôt l’habitude de voir des avocats en droit criminel ou en protection de la jeunesse.
« Pour eux, un avocat, c'est là pour emprisonner du monde ou déraciner des enfants, et c'est à peu près tout. Quand on réussit à tisser des liens avec les gens de la place, pour nous c'est une victoire. »
Petites créances et visioconférences
Justice Pro Bono s’est donné comme mission de parler de justice en matière de petites créances lors de leur passage dans les communautés, afin d’éduquer les citoyens nordiques de leurs droits.
« On a réussi à avoir un règlement pour des motoneiges brisées. Le défi, c'est de retourner la motoneige brisée pour que le concessionnaire l'évalue, c'est environ 1500 $ de frais de transport par bateau. Tu fais quoi? Tu payes 1500 $ et le concessionnaire la retourne et tu payes un autre 1500 $? Les gens abandonnent leur recours parce qu'ils se disent que ça ne vaut pas la peine. »
Des démarches ont été faites auprès du ministère de la Justice pour trouver un juge qui accepte de siéger par visioconférence. Me Leggett-Bachand se rappelle d’un cas de pension alimentaire où la femme n’arrivait pas à obtenir l’allocation de son ex-conjoint.
« Leur district judiciaire est à Amos. Pour aller à Amos, à partir de n'importe quelle communauté, il n'y a pas de lien direct. Ils doivent transiter par Montréal et ça coûte 2000 $. Une de nos petites victoires, c'est d'avoir eu une juge d'Amos qui a accepté de siéger par visioconférence. Si on n'avait pas été là, la dame n'aurait probablement pas fait valoir ses droits. »
Justice Pro Bono en est maintenant à pérenniser la formule. Une activité de financement aura lieu le 19 février 2020 sous le thème de la nordicité. Les avocats intéressés peuvent aussi soumettre leur candidature pour participer au programme. Ils doivent avoir travaillé avec une communauté vulnérable et être parfaitement bilingues.
« Idéalement ils devraient connaître l'inuktitut, mais on n'en a pas trouvé encore! »
Une expérience unique
Ces expéditions ont aussi amené les juristes bénévoles à vivre des expériences humaines uniques, raconte à Droit-inc Nancy Leggett-Bachand.
Alors que l’équipe se pose à Puvirnituq, afin d’y tenir une clinique juridique, la communauté est paralysée par la disparition d’un jeune homme depuis trois jours. Les leaders du village sont stressés. Une vague de suicides avait fauché la vie de six personnes dans la première moitié de 2019, uniquement dans la communauté de 1800 âmes.
« Ce matin-là, le directeur de l'école nous dit que ça ne va pas dans le village. Le maire a décidé de tout fermer: la coop, l'école, etc. pour lancer les recherches de ce jeune homme », explique Me Leggett-Bachand.
« On a laissé faire l'ouverture de notre clinique et on s'est rendu au point de rencontre à 13h. L'aîné du village a fait une prière, ça m'a marqué. Tout le monde était dans le silence. Un chef nous a divisés en groupes et nous avons ratissé toute la communauté. »
Dans le malheur, toutefois, s’est dégagé un peu de bon, poursuit la directrice générale. « Ils ont vu qu'on n'était pas là pour l'argent, mais pour faire du bien et être solidaires avec eux. On a pu échanger avec des gens lors de la battue et ça a fait en sorte que le lendemain on a eu plus de gens que si on n'avait pas participé. »
En deux ans, Justice Pro Bono a par ailleurs appris qu’on ne vit pas même rythme à Kuujjuaq qu’à Montréal. Planifier des rencontres deux semaines à l’avance n’est pas aussi facile qu’on le croit.
« On a volé dans notre petit avion à Salluit, la communauté la plus au nord, et on n'a pas pu se poser parce que le blizzard était trop fort. On a été obligé d'attendre deux jours avant de repartir, et on a dû laisser la moitié de l'équipe à Puvirnituq. Il faut jongler avec les éléments de la nature. »