Pas de stage? Pas grave!
Florence Tison
2020-02-21 15:00:00
« Si vous avez un appel, tant mieux, si vous n’en avez pas, vous allez quand même vous en sortir, et probablement beaucoup mieux que vous le pensez! » estime Me Aicha Tohry, qui a sa propre pratique depuis trois ans.
Les trois avocates disent même qu’au final, c’est une bonne chose qu’elles n’aient pas eu d’offre à la course aux stages. Aujourd’hui, elles sont très heureuses… et gagnent très bien leur vie!
« Je trouvais qu’à l’université où j’étais, il y avait beaucoup de temps et d'énergie consacrés aux gros cabinets, mais je trouvais qu’on ne parlait pas assez des carrières alternatives ou de toutes les autres possibilités qui existent », souligne Me Marie-Pier Lépine.
Eh bien justement, parlons-en.
Katia, ou les services juridiques en entreprise
S’il y en a une qui a été surprise de ne pas avoir été retenue lors de la course aux stages, c’est bien Katia Pietrunti. Imaginez : elle était déjà à l’emploi de Fasken Martineau à l’époque, et elle y formait souvent elle-même les stagiaires et les étudiants en droit corporatif!
« Je n’ai pas su pourquoi, mais moi j’assume que c’est parce que j’étais plus vieille, indique Me Pietrunti. J’étais rendue à 33 ans, donc j’imagine qu’ils voulaient prendre des plus jeunes pour les mouler selon ce qu’ils voulaient qu’ils deviennent. »
Déjà parajuriste chez Fasken, Me Pietrunti complétait son baccalauréat de soir à temps partiel. Difficile d'avoir une moyenne à tout casser quand on travaille à temps plein. Ça a peut-être joué dans la décision de Fasken de ne pas lui offrir de stage. Qu’importe, l’avocate ne retournerait jamais en arrière.
« Avec le recul aujourd'hui, c'était la meilleure option pour moi », confie la Barreau 2008, qui n’est vraiment pas à plaindre.
Depuis six ans, elle est à la tête des services juridiques de deux compagnies en construction et en immobilier.
« Je fais le maintien d’environ 175 compagnies différentes qui détiennent différents immeubles dans notre portfolio, illustre l’avocate. Ce n’est jamais la même chose dans chaque dossier, et il y a l’ampleur des dossiers aussi! On peut passer d’un petit immeuble à un million $, et j’ai fait des transactions à 55 millions $. »
Si Katia Pietrunti gagne moins qu’un avocat qui aurait passé toutes ces années en grand cabinet, elle est loin d’être à plaindre. Un salaire dans le début des six chiffres, mentionne-t-elle modestement. Un salaire qui va aussi de pair avec le nombre d'heures qu’elle travaille par semaine; une blague en comparaison des avocats en cabinet.
« Les jeunes qui s’en vont faire la course aux stages, je vous le dis parce que je l’ai vu, c’est du 75 à 80 heures par semaine, souligne l’avocate. Je fais en moyenne 55 heures par semaine, donc je peux avoir une qualité de vie meilleure, et on a de très bons avantages sociaux. »
Sans parler de tous les congés liés au domaine de la construction. Elle les a tous.
« Ne pas travailler dans un grand cabinet, ce n’est pas la fin du monde. On peut quand même réussir, et je pense que j’en suis la preuve! »
Aicha, ou avoir sa propre pratique
À 25 ans, Aicha Tohry a déjà sa propre pratique : Arty Avocats, qui oeuvre dans le conseil aux professions artistiques. Ça fait déjà trois ans que l’avocate est partie en solo, et ce malgré plusieurs offres d’emploi alléchantes au sein de cabinets spécialisés en propriété intellectuelle.
Mais l’offre de stage à l’université, elle ne l’a pas eue.
« À ma troisième année, à l’approche du Barreau, je me suis dit “Bon, il faudrait peut-être que je me trouve un stage”, se souvient l'avocate. J’ai postulé dans des cabinets qui ne faisaient que de la propriété intellectuelle, parce que je voulais m'assurer de travailler dans ce domaine-là. »
Des deux cabinets auxquels Me Tohry a postulé, Robic et Smart & Biggar, seul le premier l’a retenue en entrevue. L’aventure de la course aux stages s’est arrêtée là, mais pas l’histoire d’Aicha Tohry.
Au Barreau, l’avocate a trouvé un stage dans une entreprise en technologies de l’information. Elle a eu une entrevue, et une semaine plus tard elle commençait. Un travail intéressant, parce que c’était en contentieux : on ne voit pas ça en cabinet!
« C’est quasiment une bonne chose que je n’aie pas eu ce stage là, estime Me Tohry. La plupart des avocats que je connais n’ont pas eu de stage après la course aux stages ou n’ont tout simplement pas fait la course aux stages, et ils s’en sortent très bien. »
Marie-Pier Lépine, au public avec quatre chapeaux
« Je dois dire que la course au stage, je l’avais faite un peu à reculons, indique d’emblée Marie-Pier Lépine. Je ne l’ai pas faite par conviction profonde que ça me tentait, mais beaucoup parce que tout le monde en parlait à l’école. »
Me Lépine a posé sa candidature auprès de 10 gros cabinets, a eu deux entrevues, et aucun stage. Déçue? Un peu. Surprise? « Non, pas tant que ça. »
« Je n’avais pas l'impression d’avoir donné le meilleur de moi-même aux entrevues, se rappelle l’avocate. Je n’avais pas vraiment réfléchi à mes motivations profondes pour le faire, ni même mes motivations réelles pour travailler dans ces cabinets-là. »
« Quand on est jeune, de vraiment se questionner et se demander ce qu’on veut dans le cadre d’un emploi, c’est vraiment important », poursuit Me Lépine.
Marie-Pier Lépine, 30 ans, est maintenant dans un emploi qui correspond à ses valeurs et qui la fait triper. L’avocate est secrétaire générale du cégep Édouard-Montpetit, avec tous les chapeaux que ça implique : affaires juridiques, secrétariat corporatif et gouvernance, développement institutionnel, gestion documentaire...
« Je suis conseillère juridique pour le cégep, mais il y a un aspect assez intéressant je trouve à mon travail qui touche au développement institutionnel, la planification stratégique, qui n’est pas nécessairement strictement juridique », explique Me Lépine.
« Je suis gestionnaire aussi, donc j’ai une petite équipe d’employés que je gère! Un bon poste pour une jeune avocate. »
…Une jeune avocate qui n’a pas eu de stage à la course aux stages, disons-le!