Un avocat démissionne du Barreau en pleine salle d'audience!
Radio -Canada
2021-02-15 15:00:00
Maintenant que le procès de Jean-François Roy s'est ouvert, les médias peuvent rapporter les détails de cette audience houleuse, au terme de laquelle l'avocat a abandonné sa toge.
Le 28 septembre dernier, les avocats de la poursuite et de la défense se sont présentés devant le juge François Huot, pour planifier le procès qui devait débuter au mois de novembre 2020.
D'entrée de jeu, le juge fait des observations à caractère de reproche à Nicola Salomone qui défendait Jean-François Roy, accusé d'avoir tué un chauffeur de taxi en 2014.
Me Salomone ne s'était pas présenté à l'audience précédente, le 3 septembre.
« Vous n'avez pas appris à gérer un agenda au Barreau, vous », lui lance le juge Huot. Le ton est donné pour la suite de l'audience.
Tentative de report
L'avocat de la défense va faire sursauter le juge en lui demandant de reporter le début du procès, indiquant avoir de la difficulté à trouver un psychiatre comme témoin expert.
« C'est terminé là, le 9 novembre, je procède », tonne le juge.
Me Salomone insiste : une psychiatre est prête à collaborer, mais n'est pas disponible avant le mois de janvier 2021.
Le juge rétorque que l'avocat sait depuis le mois de juillet 2019 que ce procès doit se tenir.
La Cour d'appel a alors annulé le verdict de culpabilité du premier procès, et ordonné d'en tenir un nouveau.
« Est-ce que l'administration de la justice va payer pour votre laxisme? », fait valoir le juge.
Me Salomone se défend d'avoir fait preuve de laxisme, plaidant des « circonstances particulières », pour expliquer sa demande de remise.
Il n'était pas l'avocat de Roy lors du premier procès.
« Là pour la cause »
Face aux marques d'impatience du juge qui veut absolument débuter le nouveau procès le 9 novembre, l'avocat monte le ton à son tour.
« Moi, je suis là pour la cause et s'il faut que je dise à mon client de me flusher et d'invoquer mon incompétence, je vais lui dire », s'emporte Me Salomone.
Quand le juge se tourne vers le procureur de la poursuite, ce dernier mentionne qu'il s'oppose à la demande de remise, rappelant que le meurtre a eu lieu six ans plus tôt.
L'avocat de la défense n'en démord pas.
Le juge l'interrompt brusquement, alors qu'il rappelle que les délais s'expliquent par le nouveau procès qui a été ordonné.
« Est-ce que vous pensez que c'est d'une grande consolation pour la famille du défunt que de savoir que le délai est causé par la Cour d'appel? Non », a assené François Huot, juge Cour supérieure du Québec.
Alors que l'avocat de Roy répète que c'est une erreur du juge du premier procès qui mène au second, le juge Huot explose.
« Bon, sacrez-moi... l'erreur du juge. Il y a eu un jugement rendu et un nouveau procès. Arrêtez d'insister là-dessus. Vous l'avez eu, votre nouveau procès », tonne le juge.
Demande de retrait
Devant la tournure de l'audience, Me Salomone implore le juge de distinguer l'avocat et l'accusé, et évoque la possibilité de se retirer du dossier pour ne pas nuire à son client.
« Je ne vous permettrai pas de vous retirer », réplique le juge, alors que l'avocat continue de protester.
« Si je vous dis que vous allez assister le client, vous allez assister le client, ça va finir là », indique le juge, fermement.
L'échange va se poursuivre, sur le même ton.
« Écoutez-moi bien, là. Si je ne vous permets pas de vous retirer du dossier, maître, vous ne vous retirerez pas du dossier », gronde le juge Huot.
« Bien vous me mettrez en prison, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise », rétorque l'avocat.
Le juge lui demande alors s'il a d'autres observations à faire sur sa requête visant à reporter le procès.
À peine l'avocat a-t-il prononcé « non » que le juge Huot scande « demande rejetée » et poursuit sur-le-champ l'audience pour préparer le procès.
Me Salomone présente alors une requête pour se retirer du dossier, que le juge rejette instantanément du revers de la main.
Face à cette décision, Me Salomone demande une pause pour appeler son ordre professionnel.
Démission en direct
À la reprise de l'audience, quelques minutes plus tard, il annonce au juge qu'il démissionne du Barreau.
Le juge Huot se tourne alors vers l'accusé, pour le rassurer, d'une voix posée.
Il explique que ses remarques visaient l'avocat et non l'accusé et qu'il va s'assurer qu'il ait droit à une défense pleine et entière.
Il ajoute qu'il ne permettra pas à Me Salomone de se retirer, à moins qu'il trouve un avocat prêt à tenir le procès, dès le 9 novembre.
« Ce qui s'est passé et les propos tenus et même l'acte de bravade qui a été fait, vous n'en serez jamais pénalisé », le juge François Huot, s'adressant à l'accusé Jean-François Roy.
Après s'être adressé à l'accusé, le juge invite le procureur de la poursuite, Me François Godin, à faire le point sur le dossier.
Distrait par un cellulaire
Alors que Me Godin parle de la preuve qu'il entend présenter, le juge l'interrompt, puisque l'avocat de la défense semble absorbé par son téléphone cellulaire.
« Ah, c'est mon formulaire de démission, mais j'écoute en même temps », répond au juge Me Salomone, qui lui demandait ce qu'il faisait.
À la fin de l'audience, le juge Huot ordonne à Nicola Salomone de se présenter à la Cour le 9 novembre, pour le début du procès.
« Que vous soyez avocat ou non. À défaut, je vous citerai pour outrage au tribunal », l'avertit le juge Huot.
« Je serais là, mais en tant que citoyen », réplique l'avocat démissionnaire.
Au terme de l'audience, Nicola Salomone a quitté la salle après avoir retiré sa toge et l'avoir laissée sur place.
Son nom n'apparaît effectivement plus au bottin des membres du Barreau du Québec.
Nicola Salomone offre maintenant ses services pour rédiger des procédures ou faire des recherches juridiques.
Devant sa démission, le juge Huot a finalement accepté de reporter le début du procès, pour permettre à un autre avocat de représenter Jean-François Roy.
Nicola Salomone n'a pas souhaité commenter.