Elle veut devenir bâtonnière!
Andréanne Moreau
2021-03-04 15:00:00
Elle se présente maintenant au poste de Bâtonnière du Québec, auquel elle affrontera Me Antoine Aylwin, le seul autre candidat déclaré pour le moment. Les élections se tiendront du 4 au 14 mai.
Droit-inc s’est entretenu avec elle.
Qu’est-ce qui vous a incité à vous présenter?
Je suis tombée en amour avec le travail qu’on accomplit au Barreau quand j’ai siégé au conseil exécutif et au conseil général en tant que première conseillère et que Bâtonnière de Québec de 2014 à 2016. J’ai appris à connaître les dossiers de fond, l’ampleur de l’implication qu’un poste au CA exigeait. Après ce mandat, je me suis présentée comme administratrice et ai été nommée première vice-présidente, poste auquel j’ai été réélue en 2019. C’était clair à partir de ce moment que je briguerais le bâtonnat.
Parmi les dossiers de fond du Barreau que vous avez appris à connaître dans les dernières années, lesquels souhaitez-vous prioriser?
Le dossier de l’heure, c’est la modernisation. Le monde de la justice a été bouleversé par deux grands événements récemment. L’arrêt Jordan, même pour ceux qui ne font pas de droit criminel, a lancé un message clair : le système judiciaire est trop lent et trop peu accessible. Ça a mis de la pression sur nos membres pour changer les façons de faire.
La pandémie est venue donner le coup de barre additionnel. On n’a pas eu le choix de mettre en place des mesures pour moderniser la justice. Ça a créé une occasion d’accélérer cette transformation technologique.
Dans ce dossier, le Barreau doit être le gardien de l’aspect humain de la justice. Oui, les choses doivent s’améliorer et s’accélérer, mais pas au détriment des justiciables et des avocats. Le virage technologique doit être accessible pour tous les membres, peu importe la taille de leur cabinet.
Par exemple, dans le cas du projet Lexius, qui vise à dématérialiser les dossiers judiciaires de toutes les cours du Québec d’ici le 3 avril 2023, on doit s’assurer que tous les avocats auront accès à de la formation et à des outils leur permettant de relever ce grand défi. Nos membres n’ont pas tous les mêmes moyens.
D’autres dossiers qui vous tiennent à coeur?
Je veux continuer à siéger sur différents groupes de travail, notamment en ce qui a trait à l’avenir de la profession. On doit rester vigilants, même proactifs, pour protéger certains champs de pratique face à d’autres ordres professionnels qui tentent d’élargir les leurs. Il faut s’assurer de bien protéger le public en conservant peut-être certains actes.
Le bien-être psychologique aussi est une de mes préoccupations. On a déjà mis en place beaucoup de services, mais la pandémie nous a permis de constater qu’on a beaucoup de membres qui ont des difficultés. Le portrait est bien triste et les membres ont vraiment besoin de la PAMBA.
Le programme est bon et il fonctionne, mais je crois qu’il y a lieu de revoir l’éventail de services. On doit augmenter le nombre de séances offertes ainsi que le montant remboursé par séance. C’est important d’être là pour notre membre le plus vulnérable, de l’aider.
C’est une pensée qui m’habite constamment. Protéger nos plus vulnérables.
J’aimerais aussi qu’on puisse offrir le Programme Répit à l’ensemble des membres de la province. Cette aide financière créée par le Jeune Barreau de Québec soutient les jeunes avocats à leur compte aux prises avec des problèmes de santé mentale en remboursant une mensualité des frais fixes d'exploitation de bureau pendant un arrêt de travail.
Vous avez 54 ans, mais semblez très préoccupée par le sort des plus jeunes avocats. Avez-vous d’autres idées pour les soutenir?
Il faut les accompagner, surtout ceux qui décident de démarrer leur pratique en solo. Je pense qu’on peut bonifier le service d’inspection professionnelle, qui est trop souvent perçu comme un organe de surveillance qui cherche à les prendre en défaut. Je voudrais qu’on ait un système qui jumelle un membre nouvellement assermenté qui désire lancer sa carrière comme travailleur autonome avec un employé du service qui puisse l’accompagner dans son démarrage et lui fournir les outils nécessaires.
Une autre réalité qui frappe nos jeunes et me touche beaucoup, c’est la pression qui peut être mise sur nos criminalistes pour fixer des dates d’audition et de procès. Lorsqu’ils veulent fonder une famille et prendre un congé parental, c’est difficile. Certains membres de la magistrature refusent d’attendre leur retour. On doit s’assurer qu’il y ait un dialogue et que tous comprennent qu’il ne faut pas leur mettre trop de pression.
On parle de congé parental et de conciliation avec la vie professionnelle. C’est un défi que vous avez rencontré personnellement?
Oui. Quand ma fille est née il y a 19 ans, j’étais travailleuse autonome et j’ai dû prendre un peu moins de trois mois de congé avant de recommencer à travailler, de peur de perdre ma clientèle. Ce sont des mois si importants. J’ai trouvé ça beaucoup trop court, mais j’avais l’impression de ne pas avoir le choix.
C’est une réalité que j’ai vécu et je sais que cette question est toujours d’actualité. C’est certain que je vais être aux côtés de nos jeunes avocats, autant les mères que les pères, dans ces revendications.
On a beaucoup parlé du rapport sur le harcèlement sexuel. Étant vous-même spécialisée en harcèlement en milieu de travail, avez-vous des solutions à apporter à ce problème?
Je fais partie du groupe de travail sur le harcèlement et ai rencontré les professionnels qui ont rédigé le rapport. Je pense qu’une partie du problème vient du fait que les victimes n’osent pas dénoncer et, surtout, ne savent pas à qui s’adresser au Barreau en cas de harcèlement. Et ça vaut aussi pour les cas de racisme.
La solution que je vois, tant pour favoriser l’inclusion que pour faire face au harcèlement, c’est de créer un système d’ombudsman. On aurait une entité neutre, qui n’est attachée ni au bureau du syndic, ni au conseil d’administration, qui traiterait les plaintes en toute confidentialité et en toute neutralité.
La nouvelle gouvernance ayant mis fin à la rotation Montréal-Québec-régions au bâtonnat, craignez-vous que la force du nombre dans la métropole ne mette à mal vos chances de victoire?
J’étais au conseil général quand on a adopté la nouvelle gouvernance et, en effet, c’était une préoccupation des membres. Le souhait de ceux qui ont voté était qu’il y ait quand même une certaine représentativité des régions, même si ça ne se retrouve pas dans la loi.
Lorsque j’ai informé mes contacts en région que je souhaitais me présenter, ils ont tous mentionné qu’ils préféraient que le prochain bâtonnier ne soit pas de Montréal, comme c’est le cas depuis maintenant quatre ans.
Puisque, au moment où on se parle, je ne crois pas qu’il y ait un candidat des régions, quelqu’un de Québec peut être perçu comme un bon compromis. Je suis moi-même originaire de Chicoutimi et j’ai une pratique qui se rapproche davantage de la réalité des régions que de celle des grands bureaux montréalais. Je crois que je suis toute désignée pour ça.
Après quatre ans avec un Montréalais, l’équilibre voudrait que le prochain bâtonnier soit d’ailleurs au Québec, donc. Assurer une rotation homme-femme serait-il un autre argument en votre faveur?
Je ne veux pas en faire mon premier argument, puisque je crois que ma compétence dans les dossiers prime, mais on serait peut-être dûs pour une bâtonnière, oui. Après tout, les femmes représentent 55 pourcent de nos membres.