Les procureurs sont au bout du rouleau
Andréanne Moreau
2021-03-30 15:00:00
La presque totalité (575) des 600 membres de l’APPCP a répondu aux 142 questions des chercheures et près de la moitié d’entre eux présentent des symptômes d’épuisement professionnel.
Pire encore, près du tiers souffrirait d’anxiété, 28 pourcent, de dépression, et le quart d’entre eux présenteraient des signes de choc post-traumatique. « On sentait sur le terrain que ça n’allait pas, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi dramatique », admet Me Guillaume Michaud, président de l’APPCP.
À ses yeux, le problème en est un de ressources. Les procureurs manquent de temps pour se préparer, ont des centaines de dossiers sur leurs bureaux, ont parfois cinq ou six procès en une seule journée, énumère-t-il. « On a étiré l’élastique jusqu’au bout », illustre-t-il.
L’étude ayant été réalisée en 2019, l’élastique métaphorique s’est même étiré de quelques centimètres supplémentaires puisque la pandémie a apporté son lot de stress et de surcharge de travail. Les dossiers les moins urgents ayant été repoussés au début de la crise, les procureurs doivent maintenant redoubler d’effort pour rattraper le retard.
Et les demandes ne font qu’augmenter. Les victimes voudraient davantage d’encadrement, de support, une demande d’ailleurs appuyée par le recommandations du rapport du Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, mais les ressources sont insuffisantes, selon Me Michaud. Et il n’est pas rare que les victimes ou les témoins dans une cause ne soient rencontrés que le matin du procès.
Aider, même au prix de sa santé
« C’est notre travail d’accompagner les victimes et on veut sincèrement le faire, mais on manque de personnel pour y arriver. Si on arrive à offrir un bon service, on le fait au détriment de notre santé mentale », déplore-t-il.
Le « coût humain » payé par les procureurs dans leur volonté d’aider les victimes est bien représenté dans les commentaires de ceux qui ont répondu à l’enquête et dont les commentaires se retrouvent dans le rapport.
« Leurs séquelles m’affectent et me suivent », écrit l’un d’eux. « J’ai régulièrement des flashs de certains dossiers, parfois même des années après les faits », raconte un autre.
Lorsque l’APPCP a déposé les résultats de son étude au comité sur la rémunération des procureurs québécois à l’été 2019, le DPCP a répondu qu’un programme d’aide psychologique est en place depuis 2013 pour épauler les employés qui vivent de la détresse. Un programme dont Guillaume Michaud n’avait même jamais entendu parler avant.
« La majorité des procureurs ne le connaissaient pas, preuve que c’est une coquille vide. Et, de toute façon, on aurait beau avoir le meilleur programme de soutien psychologique au monde, ça ne servirait à rien si on n’arrive pas à décharger la tâche des procureurs », soutient-il.
Une surcharge lourde en conséquences
La surcharge de travail des procureurs n’affecte pas que leur santé mentale, elle a un impact sur tout le système judiciaire, estime Me Michaud.
« Si on manque de temps pour autoriser les dossiers, tout est déjà retardé. Et les retards ont un impact sur la mémoire des témoins, sur celle des victimes, mais aussi un impact émotif. C’est un fardeau pour les victimes d’attendre trois ans avant de pouvoir témoigner et tourner la page », souligne Me Michaud, qui estime que le service offert présentement n’est pas à la hauteur de ce à quoi les citoyens sont en droit de s’attendre.
La clé, selon lui? D’abord, embaucher. « En créant des postes, on offrirait un meilleur service aux victimes, les procureurs souffriraient moins d’épuisement et tomberaient moins souvent au combat en laissant leurs collègues avec une charge de travail toujours plus grande. »
Bien sûr, des améliorations dans les conditions de travail seraient également souhaitables. Me Michaud parle entre autres de la conciliation travail-famille, une discussion qu’il aimerait bien avoir avec l’employeur. La reconnaissance des heures réellement travaillées ferait aussi partie de la solution.
En effet, l’étude révèle que, même s’ils ne sont payés que pour 37,5 heures par semaine, plus du tiers des procureurs en travaillent en réalité 45 ou plus. Pour un cinquième des répondants, c’est même 50 heures et plus par semaine. Des heures supplémentaires qui ne sont pas toujours réclamées, selon lui.
« Plusieurs de nos membres n’osent pas déclarer ces heures parce qu’ils se font répondre par leurs gestionnaires que c’est parce qu’ils n’organisent pas assez bien leur travail qu’ils n’arrivent pas à tout faire. Ils ont peur de se faire dire qu’ils ne sont pas capables d’assumer leur charge de travail », fait valoir Me Michaud, faisant allusion à la « culture du superhéros » dénoncée dans l’étude.
En effet, la culture qui prévaut au sein du DPCP encouragerait les procureurs à cacher leurs problèmes de santé mentale ou leur épuisement. Plus des trois quarts des répondants ont affirmé craindre de la discrimination si leur demande d’aide psychologique était connu. « Je suis persuadé que si mon supérieur immédiat sait que je vais chercher de l’aide en santé mentale, il (...) m’enlèverait la chance de faire des dossiers d’une certaine ampleur », témoigne l’un d’eux.
Le président de l’APPCP est d’avis que tout changement à culture ambiante malsaine doit passer par la haute direction et les gestionnaires. « Ils doivent comprendre que ce n’est pas correct de passer des commentaires dégradants envers des procureurs qui sont en congé maladie », donne-t-il en exemple.
Le DPCP a reconnu les conditions de travail difficiles des procureurs et compte bonifier son programme d’aide psychologique afin d’y inclure de la prévention. Aucune annonce n’a toutefois été faite quant à l’embauche de procureurs additionnels et le budget du gouvernement ne laisse pas présager un tel investissement.