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Des avis négatifs qui risquent de coûter cher

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Radio Canada

2025-04-17 10:15:48

Un consommateur a le droit d’exprimer un avis négatif, mais un commerçant a aussi le droit de protéger sa réputation…

Dominique, une cliente d’une boutique de vélo, n’a pas aimé son expérience de magasinage. Elle a partagé son point de vue en publiant un avis sur Google, avec la note de deux étoiles sur cinq. Voici un extrait de son commentaire : « Très bon prix pour un de leurs vélos en vente, mais ça s’arrête là. J’ai senti qu’on ne me prenait pas au sérieux en tant que femme qui fait du vélo de montagne. Très peu d’engagement pour m’aider à faire le set up de mon vélo ».

Source : Radio Canada

Pour elle, son avis est fidèle à ce qu’elle a vécu en magasin. Mais, selon le commerçant, le commentaire n’est tout simplement pas honnête.

Le conflit entre les deux est insoluble. Dominique refuse de rappeler le commerçant, puisqu’elle a réglé ses problèmes avec son vélo autrement. Rien ne la convaincrait de retirer son avis. Mais le propriétaire de la boutique dit perdre des ventes en raison de la critique en ligne. Que faire? Pour le commerçant, la solution passe par les tribunaux. Il poursuit la cliente en diffamation et demande 15 000 $ pour la perte des revenus occasionnée par l’avis. Ça sera au tribunal de trancher à l’issue du procès, dont la date n’est toujours pas déterminée.

Critiquer sans diffamer

Un juge pourrait-il vraiment condamner un consommateur à payer des dommages-intérêts à un commerçant pour avoir écrit un commentaire négatif?

Véronique Parent - source : Radio Canada

L’avocate Véronique Parent, d’Option consommateurs, a analysé des dizaines de décisions de poursuites en diffamation.

Elle constate que « de plus en plus de consommateurs se sont fait poursuivre ou menacer de poursuites judiciaires pour avoir publié une critique négative. Au Québec, dans les dernières années, certaines condamnations allaient jusqu`à 20 000 $ ou 30 000 $ en dommages ».

Le droit des uns s’arrête où commence celui des autres

Dans un cas d’avis négatif, deux camps se confrontent. D’un côté, le consommateur a le droit de s’exprimer. De l’autre, l’entreprise a le droit de protéger sa réputation. Mais attention : toute critique négative n’est pas nécessairement condamnable. Le consommateur doit avoir rédigé un avis qui dépasse les bornes : avoir l’intention de nuire au commerce, attaquer sa réputation, utiliser un langage violent, par exemple.

« Mieux vaut ne pas utiliser un langage abusif et ne pas tomber dans les attaques personnelles », résume Me Parent. « Le consommateur cherche-t-il à se venger? Les tribunaux sont quand même assez sévères là-dessus. Ils rappellent que ce n’est pas l'endroit pour régler ses comptes avec une entreprise ».

D’ailleurs, elle souligne que toute vérité n’est pas bonne à dire. « Si, par exemple, on insulte la personne ou encore si on incite les autres consommateurs à ne pas faire affaire avec l'entreprise, même si ce qu'on dit est peut-être vrai, la Cour pourrait considérer que le commentaire est diffamatoire ».

De plus, au Québec, le commerçant doit démontrer qu’il a subi un dommage. Sur ce point, Me Véronique Parent déplore que les tribunaux n’aient pas toujours exigé de preuves claires de pertes de revenus. « Lorsque les juges accordent des dommages-intérêts, j’ai l'impression qu’on tient parfois pour acquis qu’un message cause un dommage du simple fait de sa publication. Mais à mon avis, il faut que l'entreprise démontre qu'elle a subi un réel dommage ».

Délimiter le terrain de jeu

Pour éviter toute situation ambiguë, Option consommateurs croit qu’il est temps que le Québec balise le droit de critiquer une entreprise en ligne.

« À partir de quand la liberté d’expression devient une atteinte à la réputation de l'entreprise? soulève Me Véronique Parent. Ce sont des concepts qui demeurent abstraits et l'absence d'encadrement et de lignes directrices expose les consommateurs à des poursuites judiciaires. »

L’exemple de l’Alberta

En Alberta, une entreprise ne peut pas poursuivre en justice un consommateur qui a publié un avis légitime et honnête sur un bien ou un service. La province va même plus loin. Dans sa Déclaration des droits des consommateurs, elle écrit qu’une entreprise ne peut en aucun cas interdire les avis à son sujet.

Par contre, un commerçant a un recours contre un consommateur lorsque l’avis est vexatoire, malveillant ou malhonnête.

« Le consommateur sait jusqu'où il peut aller et l'entreprise sait quand elle peut entreprendre des procédures. (Au Québec), on pourrait s'inspirer de ces critères-là ou s'inspirer des critères qui ressortent de la jurisprudence », explique Me Véronique Parent.

D’autant plus qu’aux États-Unis, une tendance émerge : des commerçants font signer à leurs clients un engagement à ne pas commenter négativement leur expérience d'achat. Ce sont des clauses de non-dénigrement, et l’Alberta les interdit depuis maintenant six ans. La Colombie-Britannique a mis en place une interdiction similaire, en vigueur depuis le mois dernier. L’Ontario a emboîté le pas en adoptant ce type de disposition, mais elle n’est toujours pas en vigueur. Au Québec, on n’envisage pas de changement législatif.

Pas de chantage

Michel Rochette - source : Radio Canada


Le droit québécois protège tout de même les consommateurs contre le chantage. Une entreprise ne pourrait pas exiger qu’un client retire son commentaire avant de régler un problème ou d'octroyer un remboursement, par exemple.

« C'est quelque chose qu'on voit à l'occasion, admet Me Parent. Ce n’est pas légal. Un commerçant doit respecter ses obligations. Après ça, s'il estime que le commentaire est diffamatoire, il pourra entreprendre des procédures (judiciaires) ». Et comment les commerçants doivent-ils réagir aux critiques? D’après Michel Rochette, président du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) pour le Québec, lorsqu’une entreprise poursuit pour diffamation, elle met sa propre réputation en péril.

« C'est très délicat de prendre la voie du litige public, parce que c'est un couteau à double tranchant pour tout le monde », dit-il. À la base, un commentaire devrait normalement aider une entreprise à mieux comprendre son client, à mieux comprendre comment elle peut améliorer ses pratiques.

Michel Rochette juge que l’important est de regagner la confiance de sa clientèle, qui s’attend à une réponse du commerçant face à la critique.

Poursuites abusives

Et dans le cas où le consommateur croit être victime d’une poursuite abusive de la part d’un commerçant, il existe une solution : demander le rejet de la poursuite.

« Les poursuites abusives, ce qu'on appelle les poursuites-bâillons, c'est une forme d'intimidation judiciaire. Dans la mesure où le consommateur sent que l'entreprise cherche à le bâillonner, (la demande de rejet) est un moyen qui devrait être connu des consommateurs et qui pourrait être privilégié », croit Me Véronique Parent. Si la personne poursuivie établit que la procédure en diffamation contre elle peut constituer un abus, il revient au commerce de démontrer qu’elle n’est pas abusive et qu’elle est justifiée.

« On est là pour raconter ce qu'on a vécu, puis chaque consommateur pourra se faire sa propre opinion », fait-elle valoir. C’est pourtant ce que Dominique pensait faire, raconter son expérience après l’achat de son vélo de montagne.

« Est-ce que je crois en mon commentaire? Oui. Est-ce que je crois qu’il doit vivre sur les avis Google pour informer les gens? Oui. Est-ce que je crois que je vais refaire des commentaires dans le futur? Je ne suis pas certaine », reconnaît-elle.

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