Droit de la famille : Québec autorisera le recours aux mères porteuses
Radio -Canada
2021-10-26 13:15:00
Cette réforme, qui n'avait pas été entreprise depuis 40 ans au Québec, entraînera la modification du Code civil en matière de filiation, de droit des personnes et d'état civil.
« Il s'agit d'une réforme importante avec des sujets qui peuvent être sensibles, mais qui sont essentiels à aborder », a déclaré le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, en conférence de presse, jeudi.
En ce qui a trait au recours aux mères porteuses, le gouvernement du Québec entend obliger les parties à conclure une convention de gestation pour autrui, avant le début de la grossesse. Et ce, par acte notarié lorsque les parties sont domiciliées au Québec. Des règles particulières sont prévues lorsque la mère porteuse est domiciliée ailleurs qu'au Québec.
Les parents d'intention, ainsi que la mère porteuse, seront dans l'obligation de suivre une formation pour bien comprendre les enjeux psychosociaux et éthiques de ce processus.
Au Canada, depuis 2007, huit provinces et territoires ont fourni un cadre juridique à la gestation pour autrui. Le Québec leur emboîte maintenant le pas.
En vertu du projet de loi, la femme qui porte l’enfant doit avoir 21 ans et plus. Elle conserve l’entière autonomie de disposer de son corps comme elle l’entend et peut résilier la convention de gestation pour autrui unilatéralement, en tout temps. Et ce, tant pour conserver l'enfant à la fin du processus que pour demander une interruption de grossesse.
« Je crois qu'au Québec, l'autonomie décisionnelle de la femme est un droit consacré et extrêmement important. Dans l'éventualité où une mère porteuse souhaiterait se faire avorter en cours de route, ça lui appartient, c'est son choix », a déclaré le ministre de la Justice du Québec.
Le Code criminel interdit de payer une femme pour faire un enfant, mais la pratique est légale si elle n'est pas rémunérée.
Le projet de loi 2 prévoit que le remboursement de certaines dépenses à la mère porteuse sera admissible, de même qu'une indemnisation en cas de perte de revenus.
Pour ce qui est des parents d'intention, en aucun temps après signature de la convention de gestation pour autrui ils ne pourront se défiler et laisser tomber l'enfant, prévient le ministre de la Justice. Ils auront envers lui des responsabilités, comme celle de contribuer à sa subsistance.
« C'est vraiment important, parce qu'actuellement il y a des enfants qui se retrouvent sans protection juridique », dit M. Jolin-Barrette. « Il cite le cas de parents d'intention qui entrent en conflit avec la mère porteuse au huitième mois de grossesse et qui ne veulent plus rien savoir de l'enfant ».
« L'enfant, actuellement, il n'est pas protégé. Il n'y a pas de garantie pour lui. (...) C'est pour ça qu'il y a nécessité d'établir un cadre comme nous le faisons, très clair, pour protéger l'enfant et pour protéger la mère porteuse ».
Une mise à jour incroyable
Cette réforme constitue « une mise à jour incroyable et nécessaire », de l'avis de Sylvie Schirm, avocate en droit de la famille qui a commenté le projet de loi au micro d’''Isabelle Richer'', jeudi, sur ICI RDI.
Le fait que Québec reconnaisse la gestation pour autrui « remplit un vide » sur le plan juridique, affirme l'avocate. Auparavant, aucune forme de contrat n'était reconnue au Québec pour les mères porteuses. Cela obligeait les parents d'intention à poursuivre ce projet hors de la province ou du pays.
Violence familiale et enfants
Fait important, le projet de loi 2 codifie la violence familiale. « L'autorité parentale doit s'exercer sans violence aucune », y précise-t-on.
« Il sera désormais obligatoire de tenir compte de la présence de violence familiale dans toutes les décisions concernant l'enfant », a précisé Simon Jolin-Barrette.
Lors d'une situation de violence familiale ou sexuelle exercée par un parent, il sera permis à l'autre parent de requérir seul des soins pour son enfant mineur.
Par ailleurs, Québec entend également moderniser les textes de loi pour mieux répondre aux besoins des familles LGBTQ.
Sous certaines conditions, une personne pourra changer, dans son acte de naissance, son identité de genre et elle pourra modifier ses prénoms en conséquence.
Le projet de loi prévoit aussi que les Autochtones et leurs descendants, qui reprennent leur nom traditionnel pour se départir de celui attribué dans un pensionnat, soient exemptés du paiement des droits exigibles relativement à une demande de changement de nom.
Deux parents, pas plus
« La société évolue et le droit doit refléter ces changements », a déclaré d'entrée de jeu Simon Jolin-Barrette jeudi. Mais alors qu'il ouvrait de nombreuses portes, le ministre de la Justice s'est empressé de fermer celle de la pluriparentalité, ou lorsque l'enfant est doté de trois ou quatre parents.
« Pour nous, c'est très clair que la cellule familiale comporte deux parents seulement, a-t-il tranché. La littérature et les études ne démontrent pas que c'est préférable pour un enfant d'avoir plus de deux parents ».
Les conjoints de fait
Le gouvernement de François Legault entend aussi corriger une situation préjudiciable aux enfants nés d'unions de fait.
Actuellement, si un conjoint décède durant la grossesse de sa conjointe, il ne peut être reconnu comme parent que sur jugement du tribunal. « Ça arrive chaque année au Québec », dit le ministre Jolin-Barrette.
Ces mères, nouvelles accouchées et endeuillées, doivent s'engager dans des procédures judiciaires pour faire reconnaître la filiation du bébé. S'ensuivent des impacts sur les rentes d'orphelin, à la Régie des rentes du Québec (RRQ) ou dans les régimes de pension privés ou publics des travailleurs, de même que sur les droits successoraux de l'enfant.
« Pour l'enfant, c'est discriminatoire, parce qu'il n'est pas né dans une famille où les conjoints étaient mariés », dit Simon Jolin-Barrette.
Toutefois, d'autres aspects importants liés aux conjoints de fait ne figurent pas dans ce projet de loi. Ils seront inclus dans la deuxième étape de la réforme, a précisé le ministre.
Et il reste encore beaucoup à faire, insiste l'avocate Sylvie Schirm. « Il va falloir trouver une solution pour les conjoints de fait, parce qu’actuellement c’est le groupe le plus démuni en droit de la famille, sans protection, sans encadrement », souligne-t-elle.
Droit à la connaissance des origines
La pièce législative enchâsse dans la Charte des droits et libertés un nouveau droit à la connaissance des origines pour quiconque est issu d'une procréation impliquant la contribution d'un tiers.
Le but est de permettre à la personne adoptée ou autre de connaître le nom et le profil du tiers, ainsi que les renseignements lui permettant de prendre contact avec lui, à moins qu'il ait exprimé un refus de contact.
Le projet de loi donne en plus à l'adopté le droit d'obtenir, à certaines conditions, une copie de son acte de naissance primitif et des jugements ayant trait à son adoption.
Il lui donne le droit d'obtenir le nom de ses grands-parents et de ses frères et sœurs d'origine, accompagnés, s'ils y consentent, des renseignements lui permettant de prendre contact avec eux.
Réaction favorable de la Chambre des notaires
Par communiqué, la Chambre des notaires du Québec a qualifié de « remarquable » le projet du gouvernement Legault : « La société d'aujourd'hui est composée de différents modèles familiaux et ce projet rétablit l'équilibre des protections juridiques pour toute personne les composant ».
Dès son arrivée au pouvoir en 2018, la Coalition avenir Québec avait promis d'entreprendre une ambitieuse réforme du droit de la famille.
Le précédent gouvernement du libéral Philippe Couillard avait, lui, brièvement envisagé de s'atteler à cette tâche.
Mais, de l'avis d'Alain Roy, coprésident de la Commission citoyenne sur le droit de la famille, les libéraux n'ont pas eu « le courage » de réformer en profondeur un système législatif vieux de presque 40 ans, « incohérent et anachronique ».