Pas de casier pour l'immigration
Gabriel Granatstein
2011-09-29 14:15:00
Cette histoire met en lumière un enjeu important pour les employeurs et les employés canadiens. À cette époque de mondialisation, la recherche de nouveaux talents n’a plus de frontières et n’est plus seulement l’affaire des PDGs et des stars du sport. Chasseurs de têtes et spécialistes de « l’acquisition de talents » parcourent le globe à la recherche de la personne qui correspondra exactement au profil recherché. Prenons l’exemple des compagnies de jeux vidéo qui s’établissent actuellement au Canada. S’il ne fait aucun doute que cela va engendrer la création de nouveaux emplois au Canada, il faut savoir que ces compagnies vont probablement aussi aller recruter des travailleurs qualifiés aux États-Unis et ailleurs. Et lorsqu’ils trouvent cette personne unique qui répond parfaitement à leurs besoins, les employeurs vont souvent affronter vents et marées et n’épargner aucune dépense pour recruter et installer leur nouvelle recrue et sa famille n’importe où sur la planète. Mais si les ressources financières des compagnies sont bien commodes dans ce contexte, elles ne donnent pas le droit d’acheter l’entrée d’un talentueux protégé au pays. Et c’est bien souvent à cette étape que le bât blesse.
Effectivement, peu de choses peuvent ralentir ou arrêter le passage d’une personne à la frontière canadienne plus rapidement qu’un dossier criminel (sauf peut-être une valise pleine de drogues). En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), une personne ayant été accusée ou déclarée coupable d’une infraction criminelle peut se voir « interdite de territoire pour criminalité ». Les infractions visées peuvent être de gravité variable et comprennent notamment le vol, les voies de fait, les homicides, la conduite dangereuse et la conduite avec facultés affaiblies. À son arrivée au Canada, tout citoyen étranger est tenu de déclarer s’il a un casier judiciaire. Cette obligation s’applique que la personne vienne au Canada pour une rencontre d’affaires, pour magasiner ou pour y travailler durant quelques mois ou plusieurs années (et même en présence de tous les visas requis). Le défaut de se conformer à cette exigence constitue une infraction. En effet, un trou de mémoire à ce chapitre peut conduire à une amende, à une peine d’emprisonnement, à une mesure de renvoi ou à une interdiction de territoire pour une période donnée. Cette réalité peut aisément gâcher l’enthousiasme et les perspectives de carrière d’une personne devant être mutée au Canada pour un nouvel emploi.
Cela dit, tout n’est pas perdu pour l’employeur canadien prêt à passer l’éponge sur l’accusation ou la condamnation (pour possession de marihuana, par exemple) dont a fait l’objet une recrue prometteuse.
Par exemple, une personne pourrait appliquer pour un permis de séjour temporaire conformément à la LIPR. Celui-ci est accordé de façon discrétionnaire et permet de lever l’interdiction de territoire pour une période déterminée. De plus, l’interdiction de territoire pourra être levée pour une personne qui démontre qu’elle appartient à une catégorie réglementaire de « personnes présumées réadaptées ». En vertu de la LIPR, une personne est présumée réadaptée lorsqu’un délai suffisant s’est écoulé depuis sa condamnation, qu’elle est considérée absoute de ses crimes et peut demander à entrer au Canada, sous réserve des autres conditions prévues par la loi. En plus de ces deux exemples, d’autres exceptions permettent de lever l’interdiction de territoire. Néanmoins, il est clair que dans tous les cas où une personne a un dossier judiciaire, elle devra obtenir une autorisation pour entrer au Canada.
Essentiellement, dès qu’une personne qui vient au Canada pour quelque raison que ce soit a un casier judiciaire – même si c’est pour des infractions de gravité moindre – il est essentiel qu’elle soit bien préparée. Pour leur part, les employeurs qui envisagent investir des dizaines de milliers de dollars (si ce n’est pas plus) pour recruter et muter des travailleurs étrangers seraient avisés de prendre les mesures appropriées pour protéger leur investissement. Par exemple, un contrat de travail bien rédigé pourrait stipuler que les dépenses encourues pour une recrue potentielle soient conditionnelles à sa capacité de travailler au Canada et prévoir, en cas contraire, une méthode de recouvrement. Car, selon ce qu’il adviendra des accusations portées contre Migane Diouf et du libellé de son contrat de travail, l’Impact de Montréal pourrait bien se retrouver les mains vides, en perdant d’un même coup son investissement financier et un bon joueur qui pourrait être interdit de territoire au Canada pour plusieurs années.
Admis au barreau en 2009, Gabriel Granatstein est avocat chez Norton Rose OR à Montréal, en droit de l'emploi et du travail. Avant de se joindre au cabinet, il a été officier au sein des Forces canadiennes et a notamment été affecté au maintien de la paix en Bosnie. Il demeure membre de la Réserve. Me Granatstein tient un blogue sur le droit du travail au Québec et est également présent sur Twitter.
Diplômé en droit de l’Université de Montréal (LL.B.), il a auparavant obtenu un baccalauréat en sciences politiques à McGill (B.A.).