Peut-on s’en prendre à un magistrat?
Jean-francois Parent
2017-01-19 14:15:00
C’est une affaire qui durait depuis 15 ans. L’avocat Olivier Morice, condamné en 2000 pour diffamation après avoir remis en cause l’impartialité de magistrats, les accusant au passage de connivence et d’avoir dissimulé des preuves, vient d’être blanchi par la Cour suprême française.
La Cour émet deux conditions, selon le magazine Le Point, qui rapporte l’affaire. « Les critiques doivent s'inscrire dans un « débat public d'intérêt général », (…) Et elles doivent s'appuyer sur une base factuelle suffisante ».
Pas de calomnies ni de règlement de compte, donc.
Au Québec
Qu’en est-il ici ? Un avocat peut-il critiquer un juge ? « Non !, répond sans ambages la criminaliste Me Julie Couture. Le Code de déontologie ne nous le permet pas. »
L’avocate de Couture et Associés, à Laval, insiste : « les avocats sont susceptibles d’être critiqués et de subir des pressions quotidiennement. Ils doivent dans leurs propos agir avec respect, honneur et courtoisie », dit-elle, citant au passage l’arrêt Doré c. Barreau du Québec, rendu par la Cour suprême en 2012.
En 2002, l’avocat criminaliste Gilles Doré avait tancé vertement le juge Jean-Guy Boilard, de la Cour supérieure, dans une lettre privée où le magistrat est décrit comme « un être exécrable, arrogant et foncièrement injuste », et « incapable de maîtriser quelque aptitude sociale ». La missive comportait plusieurs autres épithètes tout aussi peu flatteurs.
Me Doré passe en conseil de discipline et écope d’une suspension de 21 jours, qui l’avait jugé coupable d’une conduite indigne d’un avocat, en vertu de l’article 2.03 du Code de déontologie des avocats.
La Cour suprême
Gilles Doré se défend en arguant que la Charte des droits et libertés lui garantit le droit à la liberté d’expression. L’affaire se rend en Cour suprême, où les juges tranchent : on ne peut attaquer un juge personnellement en invoquant la liberté d’expression, et ainsi échapper à la réprimande.
Il reste que le juge Boilard avait dépassé les limites de la bonne séance à l’égard de Me Doré, qui s’en est d’ailleurs plaint au Conseil de la magistrature. L’avocat a eu gain de cause.
Le juge Boilard a par la suite eu d’autres démêlées avec le conseil disciplinaire, notamment pour certains excès langagiers à l’endroit d’une avocate.
Cela ne confère cependant pas « un droit illimité des avocats de faire fi de la civilité que la société est en droit d’attendre d’eux », écrit la Cour suprême, qui juge que le droit disciplinaire n’est pas incompatible avec la Charte dans le cas précis de la sanction imposée à Me Doré.
« Son mécontentement à l’égard du juge était légitime, mais la teneur de sa réponse ne l’était pas. »
La Cour estime pourtant que le respect dû à la liberté d’expression peut faire en sorte que « des organismes disciplinaires tolèrent certaines critiques acérées (…) Un avocat qui critique un juge ou le système judiciaire n’est pas automatiquement passible d’une réprimande », écrit-elle.
Attention aux conversations de corridor
Bref, on peut critiquer un juge, mais avec des gants blancs. « Le nouveau code de déontologie n’est pas très précis à cet égard », observe le plaideur Maxime Bernatchez.
Il réfère à l’article 12 du nouveau code de déontologie, où l’on peut lire que « L’avocat soutient le respect de la règle de droit. Il peut toutefois, pour des raisons et par des moyens légitimes, critiquer une règle de droit, en contester l’interprétation ou l’application ou requérir que celle-ci soit abrogée, modifiée ou remplacée ».
Pour Me Bernatchez, spécialiste du litige chez Sylvestre et Associés, en Montérégie, « si on a vraiment un motif légitime de douter de la qualité du travail du juge, on dépose une demande d’appel. Et si on parle de comportements moins juridiques, on a le ressort du conseil de la magistrature », dit-il.
Peut-on par contre prendre un juge à partie derrière des portes closes ? Se prendre à partie, « en privé et entre adultes consentants », reste un exercice délicat, juge Maxime Bernatchez.
Dans des cocktails, il arrive que certains en viennent aux mots, constate-t-il. « Parfois, des avocats dans des situations moins formelles poussent le bouchon. Je pense qu’ils prennent des risques. On est toujours des avocats, même en dehors des tribunaux. Il faut toujours se comporter comme tel », cautionne-t-il.
Anonyme
il y a 7 ansJe vois que parmi les juristes cités dans cet articles, il y en a au moins un qui ignore un arrêt important de la CSC.
anonyme
il y a 7 ansEt deux qui ignorent Kopyto de la Cour d'appel de l'Ontario.
Anonyme
il y a 7 ansMêlé au pouvoir discrétionnaire de celui-ci sur la gestion de l'instance et les décisions interlocutoires, est à faire grincer des dents, puisqu'alors l'appel est des plus limités. C'est surtout difficile lorsqu'un juge qui n'a clairement pas compris les tenant et aboutissants d'un dossier en vient à faire des reproches aux procureurs ou aux parties et exige des procureurs de recevoir le sermon sans dire mot. Cela se voit tous les jours en chambre de pratique et c'est assez décourageant.
Anonyme
il y a 7 ansc'est vrai que le pouvoir de gestion vient réduire la possibilité d'un appel.
j'ai pas eu de problème mais il faut que l'avis de gestion soit bien fait et clair dans ce qu'on demande... même expérience pour mes associés
ne pas respecter les délais sans motif, ne rien mettre ou expliquer dans son avis et s'attendre à ce que le juge ( ou la) comprenne le dossier en 5 minutes c'est courir après le trouble, même chose si on fait un avis de gestion pour une pécadille .. le CPC nous dit que les parties sont maîtres du dossier, bien parlons nous entre confrères et essayons de trouver des solutions avant d'aller en gestion. Ça commence mieux: on a tenté de trouver une entente mais voilà on veut regler tel point et on a besoin de vous etc ...
Anonyme
il y a 7 ans" L’avocat Olivier Morice, (...) vient d’être blanchi par la Cour suprême française."
La "Cour suprême" française ?
Il n'y a pas de "cour suprême" en France, et pour cause la France dispose de deux juridictions finales : une pour l'ordre administratif (le Conseil d'État) et une pour l'ordre judiciaire (la Cour de cassation, celle dont il est question dans l'article).
On ne parle donc pas de "cour suprême" puisque la Cour de cassation ne possède pas la plénitude de juridiction, et elle n'est pas la juridiction la plus élevé du pays.