Avocats, 24/7
Éric Martel
2019-11-01 15:00:00
De quoi Me Jean H. Gagnon, avocat-conseil de Fasken parle? De la propension des gens à demander des conseils à des professionnels, même s’ils ne sont pas en fonction!
On demandera à un ingénieur des conseils pour réparer sa tondeuse, à son médecin de diagnostiquer un mal de dos, puis à un avocat comment régler un litige avec son voisin! Ce n’est pas nouveau!
« Ça fait partie du métier, je ne cesse pas d'être avocate après 17h! » résume Me Jennifer Guay, avocate à son compte.
La plupart des avocats sondés par Droit-inc estiment qu’il est de leur devoir d’être à l’écoute lorsqu’on les sollicite hors de leurs heures de travail.
« Mes obligations professionnelles demeurent toutefois les mêmes en tout temps, que je sois au travail ou à l’extérieur du travail, explique Me Sébastien Vézina de Lavery. En tant qu’officier de justice, je considère qu’il est de mon devoir de m’assurer que les individus soient informés de leurs droits et obligations dans notre société civile. »
Il n’en demeure pas moins que ce devoir d’officier de justice vient avec une pression énorme. Après tout, vous n’êtes pas qu’avocats: vous êtes aussi des humains qui ont besoin de décompresser!
« Ça ne me dérange pas qu'on me demande des conseils juridiques en dehors du travail, mais il y a toutefois des moments où je ne veux pas parler de travail », avoue Me Nadia Barrou.
Surtout lorsqu’on vous sollicite souvent à vif. Vous n’avez pas nécessairement toutes les informations nécessaires sous la main pour prodiguer des conseils adaptés à votre interlocuteur.
« Dans de telle circonstance, par exemple à l’occasion d’une réunion de famille, donner des conseils qui peuvent avoir un impact important sur des événements dont on n’a pas le détail demeure un mauvais service à rendre », juge Me Martin Courville de Ad Litem.
Alors, comment réagir lorsqu’une connaissance vous demande un conseil hors des heures de boulot?
Sur ses gardes
Même si vous ressentez l’envie de prodiguer des conseils juridiques à qui bon vous le demande, vous devez demeurer sur vos gardes. Afin d’être fidèle à votre réputation ainsi qu’à votre code déontologique, assurez-vous que le climat est propice à une consultation.
« Si l'un de mes proches veut un conseil juridique sur une situation précise, je lui explique que le tout doit se faire dans une relation formelle d'avocat/client », explique Me Guay.
Donc, ne discutez surtout pas lors d’un événement ou pire, dans un lieu public!
« Je conseille de mettre la discussion sur pause et d’inviter la personne à notre bureau ou à en discuter dans un autre contexte qui se prêtera mieux à ce genre de discussion », confie Me Courville.
Une fois l’atmosphère professionnelle souhaitée établie, vous devez vous assurer de demeurer objectif. Votre interlocuteur aura peut-être des préconceptions par rapport à vos capacités ou à votre expérience, d'où l’importance de prendre votre temps, afin de lui prodiguer de bons conseils.
« D’expérience, les gens s’attendent à une certaine réponse lorsqu’ils nous abordent et, au-delà des conseils plus techniques, cherchent une confirmation. Il faut donc bien se garder des réponses et interprétations empressées qui pourraient vites s’avérer erronées, et pire, porter préjudice à la personne », estime Me Vézina.
Non seulement les gens cherchent une réponse taillée sur-mesure à leur attentes, mais ils penseront aussi que vous pourrez les aider dans toutes les sphères du droit.
Évidemment, ce n’est pas le cas. Il serait mal avisé pour vous, par exemple, d’aider quelqu’un dans un cas d’ivresse au volant, si votre pratique se concentre en droit fiscal.
Réorientez la personne qui vous apostrophe vers un juriste qui pourra mieux la servir, ou même vers un organisme.
« Si possible, je dirige la personne vers des ressources appropriées à ses besoins, tels que l’Office de la protection du consommateur, la CNESST, la Régie du logement ou la Clinique juridique téléphonique du Jeune Barreau de Montréal », conseille Me Oana Cosma de Durand Morisseau.
Et même si vous êtes bien installé, que vous êtes certain de posséder tout ce qu’il faut pour aider votre connaissance, faites vos devoirs. Il est possible que vous mettiez votre cabinet en situation de conflit d’intérêts, comme le précise Me Gagnon.
Assurez-vous que toutes les parties impliquées dans le mandat que vous prodigue votre connaissance n’ont pas été liées à un dossier important de votre organisation.
Une affaire de famille
Finalement, posez-vous la question d’un point du vue personnel: représenter cette connaissance vous mettra-t-il dans une position de conflit d’intérêts?
À un point de votre carrière, il est fort possible qu’un membre de votre famille souhaite obtenir vos conseils. Surtout, assurez-vous d’avoir l’objectivité nécessaire pour le faire, car vos émotions pourraient brouiller votre capacité à offrir une représentation entièrement adaptée au bien-être de votre client.
« Au début de ma carrière, dans un cas de congédiement illégal, j’ai voulu aider un frère qui n’avait pas beaucoup de sous, raconte Me Gagnon. En cours de route, je l’ai envoyé ailleurs: je n’avais pas le détachement, l’objectivité nécessaire pour faire un bon travail comme avocat. »
Malgré cela, quelques avocats sondés par Droit-inc acceptent toujours de représenter leurs proches.
« Ça m’est déjà arrivé, admet Me Mélanie Martel de Martel Savard & Associés. Tant que l’avocat est en mesure de conserver son devoir d’indépendance nécessaire pour mener le dossier, cela est compatible avec nos règles déontologiques. »
Dossier par dossier, évaluez si vous avez l’objectivité souhaité pour représenter votre proche. Et surtout, avant de décider de le faire, pensez aux répercussions possible!
« À une occasion, au début de ma carrière, j’ai représenté la société d’un proche aux prises avec un litige commercial entre locataire et locateur. L’expérience avocat client ne fut pas négative mais pendant 2 ans, j’ai dû répondre à tes questions sur le développement du dossier pendant des partys de Noël ou du Jour de l’An », se rappelle Me Courville.
« Disons que ce fut la première fois que j’ai représenté un proche...et la dernière! » conclut l’avocat.