Comment composer avec la peur de l’échec ?
Camille Dufétel
2023-05-17 14:15:00
La psychologue et conférencière Rose-Marie Charest, qui donne régulièrement des conférences autour de la santé psychologique auprès d’avocats, entre autres, connaît bien la question.
À l’occasion de la semaine de la santé mentale, début mai, elle a d’ailleurs réalisé une capsule vidéo sur le sujet partagée par le Barreau du Québec. « Quand la peur de l’échec se transforme en anxiété, on gagne à prendre un pas de recul pour avoir une perspective plus générale sur sa vie et ses réalisations », peut-on lire sur la publication.
Droit-Inc lui a demandé ses conseils pour savoir composer avec la peur de l’échec.
Que suggérez-vous d’emblée à un avocat qui a peur de l’échec ?
Le principal conseil que je peux donner, c’est de regarder quelles sont nos attentes. Sont-elles réalistes ? Quand on a des attentes irréalistes, on est fréquemment en échec.
Un avocat doit faire face à l’opposition forte d’un autre et nécessairement, l’un des deux n’obtiendra pas exactement ce qu’il souhaite pour le client. Peut-être même les deux. Il faut avoir des attentes réalistes qui tiennent compte du système.
Je conseillerais aussi de regarder sur quoi on base son estime de soi. La base-t-on uniquement sur ses succès et ses grands succès ? Dans ce cas, réussir chacun de nos coups contribue à notre estime de nous-mêmes.
Mais les gens heureux sont ceux qui savent qu’ils ne réussissent pas tout le temps et qui sont capables de prendre un pas de recul pour s’évaluer globalement. Évaluer nos réussites et nos échecs d’une part, et, d’autre part, qui on est comme personne, ce qu’on vaut dans notre trajectoire de vie, mais aussi pour nos collègues et nos clients.
L’autre chose qui est peut-être assez « plate », c’est qu’il faut travailler ! Il faut être capable de se dire, « voilà ce que j’ai fait pour me préparer, et je suis fier de ma préparation ». Cela va aider à supporter l’échec.
Peut-on parler d’une véritable « anxiété » vécue par certains à ce niveau ?
Oui, des avocats en souffrent nécessairement, puisqu’une bonne partie de la population en vit. L’anxiété de performance se déclenche dès qu’on a à faire quelque chose et qu’on n’en connaît pas encore le résultat.
On a de l’anxiété juste par anticipation, et aussi par la difficulté d’accepter le fait qu’on ne connaisse pas immédiatement l’issue. L’anxiété d’anticipation, c’est aussi la difficulté à faire face à l’inconnu, et de vivre avec.
Or, comme il y a plusieurs composantes en jeu dans le système juridique, c’est très rare qu’on sache d’avance qu'elle va être issue. Il faut donc vivre avec l’inconnu.
L’anxiété de performance devient problématique à partir du moment où elle est source de souffrance, de distraction, et qu’elle freine notre compétence.
Mais en vivre un peu, c’est le lot de tout le monde. Je donne environ 75 conférences par année depuis 40 ans, et je vis toujours un peu d’anxiété… Mais ça ne m’empêche pas de fonctionner.
Comment composer avec cette anxiété ?
Il faut apprendre à apprivoiser l’inconnu, même dans les petites choses. On ne peut pas juste travailler sur comment on agit professionnellement, il faut aussi regarder comment ça se passe personnellement dans notre façon de gérer l’anxiété.
Premièrement, physiquement, fait-on quelque chose pour apprendre à se détendre ? Fait-on de l’exercice ? Sait-on respirer de façon relaxante ? La méthode plus efficace, qu’on enseigne même aux enfants, c’est d’inspirer pendant cinq secondes et d’expirer aussi cinq secondes.
Ça ne se peut pas que même les professionnels les plus occupés n’aient pas le temps de le faire.
Aussi, cognitivement, imagine-t-on toujours le pire scénario ? L’anxiété de performance, c’est souvent ça. Les gens imaginent le pire des scénarios. Le pire, c’est impossible de ne pas l’imaginer, parce qu’il existe, mais ce qu’on peut faire, c’est élaborer tous les autres scénarios possibles.
Quand on est un jeune avocat qui a déjà connu quelques échecs et qui se dit qu’il n’a plus le droit à l’erreur, que faire ?
La première chose à faire est d’analyser ses échecs avec un mentor. Avoir quelqu’un qui nous aide à voir que faire pour améliorer sa probabilité de succès.
On parle beaucoup d’anticiper son appréhension de l’échec, mais une fois qu’il a eu lieu, comment l’accepter ?
Premièrement, qu’est-ce que l’on définit comme un échec ? Perdre en cour ? Aurait-on dû ne pas accepter ce client, cette cause ? Je recommanderais une fois de plus d’analyser le processus à l’aide de quelqu’un. Il faut le regard de quelqu’un d’autre. Quand on a un regard négatif sur soi, ça ne fera que boule de neige.
Les avocats plus expérimentés seront plus capables de mettre les choses en perspective, de voir la dynamique. Car il faut regarder cette dynamique, pas juste le résultat final. Sa dynamique interpersonnelle avec le client, le juge, par exemple…
La grande question à se poser est « qu’est-ce qui m’appartient et qu’est-ce qui ne m’appartient pas ? ». On peut juste regarder ce qu’on peut améliorer dans ce qui nous appartient.