Défendre au-delà des préjugés

Sonia Semere
2025-03-17 14:15:41

S’il y a bien un domaine de pratique qui peut cristalliser l’opinion publique dans le milieu juridique, c’est bien le droit criminel. Le rôle de l’avocat de la défense est, bien souvent, incompris.
Comment tisser une relation de confiance avec un client tout en restant objectif ? Comment gérer les aspects humains parfois intenses de chaque dossier ?
En 15 ans de pratique, Me Marie Pier Boulet du cabinet BMD a développé un solide regard sur son milieu. Celle qui occupe depuis trois ans le rôle de présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense a accepté de répondre à quelques-unes de nos interrogations.
Qu’est-ce qui vous a orienté vers le droit criminel? En quoi ce domaine de pratique correspond à votre personnalité?
Je réalise que j'aime beaucoup la position de relation d'aide. Être avocat en défense, c'est accueillir quelqu'un qui a un souci. Maintenant, est-ce que c'est de sa faute? Est-ce que ce n'est pas de sa faute? Est-ce qu'il n'est pas coupable? Ça, c'est autre chose.
Et avant de me rendre là, justement, je n'ai pas à juger la personne. Je me mets d'abord en mode écoute. C'est une partie du travail que j'aime beaucoup… On vient me voir, on a confiance en moi, on se confie à moi et j'aime ensuite réfléchir à des solutions.
Il y a des solutions juridiques mais il y a aussi des solutions morales. Oui, vous êtes coupable, mais on est capable, par exemple, d'amoindrir votre situation avec tel élément, tel effort ou encore tel engagement. Je suis toujours dans une forme de solution, d'accompagnement, et d'écoute plutôt que de prendre le rôle de la personne qui persécute ou qui juge l'autre.
Avez-vous été confrontée à certains défis ou difficultés quand vous avez démarré dans la pratique?
Le défi principal, c’est vraiment tout le côté humain, on l'apprend au fur et à mesure. Il y a des personnalités plus difficiles que d'autres. C’est surprenant mais j'ai l'impression qu'avec l'expérience, je deviens plus impatiente. Je pense qu'il y a des gens que j'écoutais plus au début que maintenant, parce qu'il y en a, je sais où ils veulent en venir…
En revanche, aujourd’hui, ce que j'aime de plus en plus, c'est la confiance que j’ai développée dans la solution que je propose aux clients. Avant de dire à quelqu'un « tu vas plaider coupable, tu vas assumer les conséquences d'un crime », j'avais besoin d'avoir la certitude que c'était la seule avenue et que je donnais les bons conseils à la personne.
C'est vraiment le temps et l'expérience qui permettent de s’assurer qu’on fait le bon choix. Finalement, le défi, c’est d’assumer jusqu’au bout notre décision.
Le droit criminel, c'est un domaine qui peut cristalliser l’opinion publique. On reproche parfois aux avocats de la défense de défendre l’indéfendable, que répondre à ça?
À mon sens, la présomption d'innocence, c'est ce qui facilite mon travail. Au départ, je regarde mes dossiers d'une manière plutôt froide. La présomption d'innocence m'aide à créer une distance entre le crime qui a été commis et mon rôle à moi. Je ne suis pas mon client, je ne suis pas le crime qui a été commis. Il faut que le public comprenne qu’on doit vivre dans une société rigoureuse, qui se pose les bonnes questions et qui ne va pas juste juger avec les émotions.
Parfois, nos émotions nous trahissent. Il nous faut un modèle qui est plus objectif. Et puis pour répondre à la question sur la nécessité de mon rôle… Eh bien, mon objectif, c'est de poser les bonnes questions pour avoir une vérité fiable. Il faut toujours se demander si ce qu'on a devant nous est un portrait fidèle de la situation.
Vous l’avez mentionné, le volet humain est très important dans vos dossiers. Comment arrivez-vous à prendre du recul sur toutes les affaires que vous traitez?
Ça peut arriver qu'il y ait des dossiers qui vont venir chercher notre émotivité et on ne comprendra pas pourquoi. Ça, sincèrement, comme avocat, on ne l'apprend pas. C'est le travail d'une vie, c'est le travail humain de la profession, d’apprendre à s'écouter et d’identifier quand on a peur d'être trop impliqué.
Est-il déjà arrivé que vous refusiez un dossier par crainte qu'il vous touche trop personnellement ?
Pour ma part, je vais plutôt refuser un dossier parce que ça ne fonctionne pas avec la personnalité du client. Avant même les faits, je sais si ça va marcher avec un client, si je le crois ou non. Ça va être le cas quand sa personnalité, ses exigences et ses demandes ne s'accordent pas avec ma manière de travailler.
Dans votre quotidien, vous êtes constamment confrontée à des situations de détresse humaine. Après toutes ces années de pratique, comment restez-vous animée par votre métier? Finalement, comment gardez-vous la flamme?
Chaque dossier est tellement différent, il n'y a pas de redondance. On travaille toujours dans l'urgence, toutes les situations qui nous arrivent doivent être traitées au plus vite. La flamme je la trouve dans mon envie d'aider les gens à trouver des solutions.
On va aider nos clients à tirer des leçons, on ne se gêne pas pour faire passer des messages. Finalement, je trouve qu'on contribue à rendre la société meilleure. Ce que je dis à mes clients à chaque fois, c’est : « Le plus beau cadeau que tu puisses me faire, c'est de ne pas me rappeler ».