La jurilinguistique en recherche d’huile à bras
Mathieu Galarneau
2019-12-17 10:15:00
« Le Canada a joué un rôle de pionnier dans l'évolution de la jurilinguistique comme activité, comme on a un système de droit qui est non seulement bilingue mais également bijuridique. Ça a des conséquences pratiques qui touchent à la langue du droit », rappelle la professeure de l’Université de Moncton et spécialiste reconnue de la jurilinguistique, Karine McLaren.
Les lois fédérales doivent être adoptées dans les deux langues officielles. Elles s'adressent également à quatre auditoires juridiques. Les anglophones et les francophones régis par le droit civil, au Québec, sont les deux premiers auditoires. Les anglophones et les francophones, qui sont régis par la common law partout ailleurs au Canada, forment les autres.
Deux langues, une loi
De plus, le Québec, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba, l'Ontario et les territoires adoptent aussi leurs lois dans les deux langues. Une fois qu'elles sont adoptées, les versions anglaises et françaises de ces lois sont équivalentes en droit, ce qui signifie qu’on ne peut préférer une version linguistique parce que l'autre est une traduction.
« Ça nous a forcé à développer des techniques et des outils juridiques, ainsi que du savoir-faire pour assurer autant la qualité linguistique des lois que leur exactitude juridique. Dans les techniques, par exemple, au fédéral et au Nouveau-Brunswick, on ne traduit plus les lois, on les co-rédige », explique Mme McLaren
D’autre part, l’obligation de bilinguisme officiel s'applique aux tribunaux fédéraux et à certaines provinces, et donc aux jugements.
« Ici, à l'Université de Moncton, on enseigne la common law exclusivement en langue française. C'est une réalisation extraordinaire! Pour faire ça, on a besoin de terminologies, de lexiques, de manuels, etc. », informe la professeure McLaren, d’où la nécessité de développer des jurilinguistes.
« On a travaillé ici à franciser la common law. Il a fallu inventer des mots de toute pièce afin d'exprimer des concepts qui n'existent pas dans l'autre langue, des néologismes. C'est ainsi qu'a été créé le Juriterm, financé par le ministère de la Justice fédéral, pour normaliser ce langage sur le territoire canadien. On a aussi le Juridictionnaire, gratuit en ligne, et le dictionnaire La common law de A à Z. Tout ça a pris du temps à créer. »
Tous ces efforts pourraient aujourd’hui se buter à mur, voire même subir un recul, dû au manque de main d’oeuvre dans le domaine.
« La traduction juridique, la corédaction, la création du vocabulaire juridique, la terminologie, ça ne s'improvise pas, on doit l'apprendre. On pourrait assister à un recul de la qualité de la traduction juridique offerte. On ne peut pas permettre à cette situation de se passer, parce que les versions bilingues ont égale valeur en droit. On doit s'occuper de la qualité de la langue du droit, d'où l'importance fondamentale de la formation jurilinguistique, de la transmission du savoir, et de l'encadrement continue. »
Le certificat d'études supérieures en traduction juridique de McGill s'adresse à un grand auditoire et sera bientôt donné en ligne. « Cela devrait contribuer à l'essor de la discipline et à produire la relève », estime la professeure McLaren.
« Un des objectifs du programme de McGill est de développer des milieux de stage dans lesquels les traducteurs juridiques déjà sur le marché du travail pourront profiter d'un certain encadrement et de rétroaction régulière, essentielle à leur développement », conclut-elle.
Pour tout savoir sur la formation donnée par l’Université McGill, cliquez ici.