Dénouer les grandes impasses en droit du travail
Céline Gobert
2015-10-15 15:00:00
Admis au Barreau du Québec en 1979, Me Sasseville fait ses premières armes à l’étude Robert, Dansereau, Barré, Marchessault et Lauzon qui deviendra ensuite Langlois Trudeau Tourigny, puis Langlois Robert. En 2003, le cabinet fusionne avec Kronström Desjardins pour former LKD, à qui il est resté fidèle.
Droit-inc : Qu’est-ce qui vous a attiré vers le droit du travail ?
Me André Sasseville : C’est un engagement qui commence dès l’Université. J’ai été captivé, dès ma deuxième année de droit par mon professeur de droit du travail Raymond Lachapelle qui nous enseignait le phénomène sociologique du droit du travail et ses rapports de force. J’ai tout de suite trouvé dans ce secteur de droit un dynamisme. Non seulement on y interprète les règles du jeu, mais on a l’opportunité de les changer, de les créer, en négociant le renouvellement de la convention collective. Le droit du travail est un droit hybride qui emprunte autant au droit civil qu’au droit public. Il a façonné le droit administratif dans les années 70-80 au Canada et a participé également aux grandes règles du droit constitutionnel. On a assisté dans les premières années de ma pratique à de nombreuses évolutions en droit du travail.
Lesquelles par exemple ?
On a accru et affermi la juridiction des arbitres de griefs dans les années 80, de telle sorte qu’ils deviennent des juridictions autonomes. À la fin des années 1990 - début des années 2000, on a complètement modifié les pouvoirs de la Commission des relations de travail pour lui accorder des pouvoirs accrus et des compétences autonomes. On a également assisté en 2003 à l’adoption des règles sur le harcèlement psychologique.
Vous êtes d’ailleurs un spécialiste de la question…
C’est exact. Dans les années 2003, au moment de l’adoption de la loi par le gouvernement PQ de l’époque, j’ai rédigé le mémoire, à titre de représentant de l’ordre professionnel des conseillers en ressources humaines agréés, pour présenter la position de l’Ordre qui déconseillait au gouvernement de judiciariser la question du harcèlement psychologique. On pouvait imaginer que ce serait un outil qui servirait à des employés pour se débarrasser de leur patron dans des circonstances exceptionnelles.
Quels sont les dossiers phares de votre carrière ?
Il y en a plusieurs. J’ai représenté devant les tribunaux administratifs de nombreuses grandes entreprises à l’occasion de litiges majeurs. L’UQAM a requis mes services il y a quelques années. L’objectif était d’assurer aux doyens, qui jusqu’alors étaient membres syndiqués de l’unité de négociation des professeurs, qu’ils pourraient à l’avenir être des représentants de la direction et des cadres au sens des lois du travail. Un autre dossier : les services du cabinet ont été retenus par la ministre de la Culture de l’époque Christine St-Pierre, pour générer des consensus au sein des associations de producteurs et d’artistes pour le remaniement des lois touchant aux statuts d’artistes et leurs conditions d’emploi. On a choisi de le faire via une démarche de médiation sans perdant.
Vous faites à la fois du conseil et du litige, comment jumèle-t-on les deux ?
De plus en plus, et cela va être le cas avec les amendements au nouveau Code de procédure civile, on ne peut plus parler de secteurs hermétiques entre litiges et transactionnel. L’avocat doit développer son savoir-faire tant dans le litige que dans la conciliation. À mon sens, les avocats sont des spécialistes de la prévention et de la résolution des conflits.
Quelles qualités sont nécessaires ?
L’ingrédient de base est la faculté d’analyse et de synthèse. On ne peut pas se tromper sur cette question. L’avocat est confronté à une réalité de faits qui se déroulent, et ce qui conditionne l’efficacité de son intervention c’est de bien comprendre les faits et de bien synthétiser les positions de son client et des autres partis. Il faut bien tenir compte des intérêts de son client, et ce n’est pas toujours ceux qu’il dévoile à première vue. Cela permet de mieux choisir la stratégie ou la méthode pour arriver à l’objectif. C’est un défi de tous les jours. Il faut donc connaître les concepts de droit, et la jurisprudence. Il faut rester à l’affût des nouvelles façons de faire.
Et comment reste-t-ton à l’affût ?
On reste à l’affût en les enseignants. « By teaching, I’ll be taught. » Nous avons tendance, avec le cabinet, à développer un nouveau produit avec une nouvelle loi ou avec de nouvelles décisions. On s’approprie des connaissances dans le but de les partager avec nos clients. J’ai enseigné pendant deux années comme chargé de cours à l’Université du Québec, puis 24 années à l’UdeM. Je suis aussi professeur à l’École du Barreau depuis 2008 dans le programme de la formation professionnelle destinée aux futurs avocats pour le bloc du droit du travail.
Comment votre travail de professeur et celui d’avocat se nourrissent ?
C’est la synergie parfaite. Mes étudiants sont aussi intéressés que je l’étais dans ma deuxième année de droit d’entendre un professeur qui a vécu les grands conflits, et qui a dénoué les grandes impasses. Mon obligation de me tenir à jour dans le domaine dans lequel j’enseigne me sert dans ma pratique du droit.
« Dénouer les grandes impasses », c’est comme ça que vous voyez votre pratique ?
Oh oui, il n’y a aucun doute ! Lorsque l’Agence spatiale canadienne a eu recours à mes services dans le passé parce que l’équipe du bras canadien qui devait livrer à la NASA le produit qui s’en allait dans l’espace avait de tels conflits interpersonnels que cela menaçait le bon fonctionnement de l’organisation…, j’ai compris que la réussite du projet reposait sur le talent du médiateur à résoudre la mésentente entre les scientifiques de l’organisme.