Abus des aînés : «le droit doit s’adapter!»
Céline Gobert
2018-08-27 11:15:00
Il travaille sur un projet de recherche portant sur la protection pénale patrimoniale des aînés.
Aux côtés de James Proctor, étudiant au baccalauréat en droit, et de Josiane Jean, diplômée de la Faculté et étudiante à l’école du Barreau de Québec, le juriste aborde l’efficacité du droit criminel économique canadien dans la prévention et la sanction du crime économique contre les aînés.
Sa vision prône tout notamment un modèle d’infraction qui prendrait en compte l’abus de faiblesse des personnes vulnérables, comme c’est le cas en France par exemple.
Alors qu’il vient tout juste d’obtenir une subvention de la Chaire Antoine-Turmel de l’Université Laval, dirigée par Christine Morin, Droit-inc a voulu en savoir plus.
Droit-inc : C’est quoi la protection pénale patrimoniale des aînés?
Mario Naccarato : C’est une forme de protection qui va au-delà de la simple fraude que sont le vol ou le «dol» - qui est une supercherie ou un mensonge qui amène une personne à agir contre ses intérêts. Cette protection inclut l’abus de faiblesse. Car la victime peut être lucide mais quand même incapable d’exprimer sa volonté.
Mes recherches visent à harmoniser le droit civil et le droit criminel en matière de protection de patrimoine des aînés. Car au Canada, il n’existe pas de notion d’infraction pour protéger l’abus de faiblesse. Il y a une protection en vertu de la Charte québécoise, mais je m’emploie à la combiner avec le code criminel, afin de l’adapter à cette réalité.
S’il n’y a pas de notion d’abus de faiblesse, quels recours ont les aînés? Et comment prouver un dol?
Comme cela n’existe pas nommément, on pourrait croire qu’il n’y en a pas, à moins de prouver le dol. Et ça va être l’objet de mes recherches. Ce genre de situation existe, bien qu’on ne l’ait jamais nommée en droit. Je plaide pour qu’une infraction s’appelle «abus de faiblesse», sans avoir recours à de nouvelles infractions en droit criminel. Notre droit est suffisant pour encadrer un abus de faiblesse, encore faut-il le nommer.
Actuellement, dans le droit traditionnel, si une personne prend le bien d’une personne vulnérable, devant elle, sans que cette dernière s’y oppose, il y a consentement. Mais une personne vulnérable ne s’est peut-être pas opposée par peur, car elle est vulnérable justement. C’est donc de l’abus de faiblesse.
Pourquoi est-ce un enjeu important en matière de droit des aînés?
Car il s’agit d’une criminalité grandissante. Le droit qui la réprime doit donc correspondre à ce phénomène. Et aussi, il y a de plus en plus de personnes âgées, et elles vont être de plus en plus nombreuses à être des victimes potentielles. On constate des infractions contre leurs biens : les maisons, les avoirs, les fraudes en matière de cartes de crédit en sont des exemples.
Généralement, il peut y avoir un abus de confiance aussi. Il peut s’agir d’une personne qui s’occupe de la victime, en résidence par exemple. Dans la jurisprudence, on constate aussi des cas où la personne fait beaucoup de cadeaux, au-delà de ce qu’elle peut réellement donner, à une autre personne qui ne les refuse pas alors qu’elle devrait le faire.
Par conséquent, est-ce que vous pensez qu’on va recruter davantage d’avocats dans le domaine du droit des aînés dans les années à venir?
Pas nécessairement, mais les juristes devront être plus sensibles à ce phénomène. Surtout les notaires car ils sont appelés à passer des actes de ventes demandés par des personnes vulnérables. Il va donc falloir être aux aguets.
Je pense que le droit devrait permettre aux juristes et aux professionnels de la santé - et sans que cela ne contrevienne à leur obligation de secret professionnel - de faire des signalements, comme on peut le faire en cas d’abus d’enfants mineurs, pour les cas d’abus de faiblesse. Il est clair que le droit devra s’adapter.