Deux femmes de tête
Rene Lewandowski
2009-12-11 10:15:00
«Wow!» s'est exclamée Caroline Haney, en apprenant la nouvelle. Cette spécialiste en recrutement juridique connaît assez bien le milieu des avocats pour savoir que ces nominations ne sont pas anodines. Il y a une trentaine d'années, nommer une femme patron d'un cabinet d'avocats aurait été perçu comme de la discrimination positive. Il y a 10 ans, on l'aurait vu comme l'effet du hasard. Mais aujourd'hui, c'est peut-être un signe que les femmes sont finalement arrivées dans la profession. «C'est un pas de géant pour les avocates, dit Me Haney, car elles ont enfin atteint le stade de la normalité.»
Il y a quand même un petit quelque chose d'ironique dans ces promotions toutes féminines. Le milieu juridique est l'un des plus conservateurs du monde des affaires et le débat sur l'égalité des femmes dans les cabinets est loin d'être terminé. En Ontario, une avocate se bat d'ailleurs en ce moment même devant les tribunaux pour faire respecter ce droit. Mais l'univers des avocats est aussi l'un des plus pragmatiques, capable de s'ajuster lorsque la situation le commande. Or, il faut bien l'admettre, les cabinets n'ont tout simplement plus le choix car le bassin des meilleurs talents est aujourd'hui rempli en majorité par des femmes, et le sera encore plus demain, à la lumière de ce qui se passe dans les facultés de droit - où les jeunes filles sont majoritaires.
Mais avec l'égalité vient aussi des devoirs. Et si elles veulent être traitées comme leurs collègues masculins, les avocates doivent au boulot performer comme eux. Sur ce point, les deux nouvelles patronnes ne chômeront pas. Elles arrivent aux commandes alors que s'amorce une des périodes les plus cruciales de l'industrie des services juridiques. On sort d'une récession, les clients ont réduit leur budget, les taux horaires exorbitants sont remis en question. Bref, dans ce nouvel environnement, les cabinets devront se réinventer.
«C'est un beau défi», dit Kim Thomassin. La jeune avocate-maman est une habituée des longues heures de travail, elle qui facture bon an, mal an 1800 heures de travail. Depuis près de deux ans, elle cumule sa pratique en financement de projets fusions et acquisitions et la direction du bureau de Québec de McCarthy Tétrault. Debout à 6h tous les matins, souvent dans ses valises à finaliser une transaction à Montréal, à Vancouver ou à Londres, elle réussit toujours à trouver de l'espace dans son horaire pour la vie privée. Tenez, mardi, le jour où son bureau a annoncé sa nomination, elle a eu le temps de conclure une transaction de 615 millions de dollars (elle représentait AbitibiBowater dans la vente d'une centrale à Hydro-Québec), d'accorder une entrevue au journaliste de La Presse, et de rentrer chez elle en soirée chercher le chat de sa fille puis de l'amener chez le vétérinaire pour le faire castrer!
Deux femmes, deux défis
Si le défi est grand, il n'est toutefois pas le même pour les deux avocates. Élise Poisson prend la direction de Lavery, un bureau régional, purement québécois, dont le centre décisionnel se trouve à Montréal. Sous la direction de Richard Dolan, qu'elle remplacera en janvier, le bureau a considérablement changé en 10 ans, passant progressivement d'un cabinet en droit des assurances à une firme de taille respectable en droit des affaires. Et le défi est là justement: comment croître lorsqu'on est cantonné au Québec, que la concurrence se resserre, que la pression à la baisse sur les prix s'accentue et que le marché se rapetisse à mesure que les entreprises québécoises passent aux étrangers? En misant sur une tarification plus concurrentielle, sur une expertise de pointe, sur la qualité du recrutement et sur le développement de niches spécialisées. Ces derniers mois, le cabinet a ainsi recruté chez la concurrence des spécialistes en droit autochtone, en régimes de retraite et en relations de travail, trois créneaux, estime Élise Poisson, qui complètent bien l'offre droit et affaires du cabinet.
Pour Kim Thomassin, le défi est tout autre. Car elle prend la direction du bureau québécois de McCarthy, un cabinet pancanadien aux ambitions internationales. Sa firme joue dans les grandes ligues, avec des avocats qui se retrouvent très souvent à représenter de très grandes entreprises dans les plus grosses transactions qui se déroulent ici ou ailleurs dans le monde. Comme boss du Québec, son rôle sera bien sûr de superviser l'ensemble des activités mais surtout, et essentiellement, de mobiliser les troupes.
«On veut que nos avocats s'intègrent encore plus à nos équipes-clients», dit la jeune femme. Depuis quelques années, McCarthy a mis en place des équipes d'avocats entièrement dédiés à des clients particuliers. Ces avocats sont des spécialistes, chacun dans leur domaine, et proviennent de tous les bureaux du cabinet, de Montréal à Vancouver. Par exemple, Kim Thomassin fait partie de l'équipe-client qui dessert la Caisse de dépôt. Ce groupe compte une dizaine d'avocats, qui, pour le moment, proviennent en majorité du Québec. L'idée, donc, serait d'intégrer davantage d'avocats des autres bureaux dans cette équipe et, vice-versa, intégrer plus d'avocats du Québec à des équipes-clients du reste du Canada. Plus les avocats seront intégrés, estime McCarthy, plus les équipes pourront mieux servir les clients. Comptez sur Kim Thomassin pour convaincre ses collègues...