Fusions et acquisitions: moins de travail pour les avocats?
Rene Lewandowski
2011-10-14 14:15:00
Depuis janvier, la valeur totale des transactions internationales a atteint 2100 milliards de dollars, en hausse de 21,7% par rapport à 2010, rapporte Thomson Reuters. Un chiffre impressionnant, certes, mais légèrement trompeur, quand on considère que près des trois quarts de la valeur totale des quelque 30 000 transactions annoncées ont été atteints de janvier à juin. Car depuis juillet, c'est le calme plat, alors que la valeur des F&A est en baisse de 18% par rapport à 2010.
«On dirait que la crise de la dette européenne et le stress causé par les problèmes politiques aux États-Unis ont ralenti les ardeurs des acheteurs», dit Shahir Guindi, associé directeur du bureau d'Osler, à Montréal.
L'avocat souligne que le ralentissement se fait surtout sentir depuis août, alors qu'acheteurs et vendeurs se sont soudainement mis en mode attente, pour des raisons opposées. Les acheteurs ont légèrement perdu confiance, craignant que la valorisation de leur cible tombe après leurs emplettes. Les vendeurs croient en revanche qu'il s'agit d'une pause de courte durée, et préfèrent attendre plutôt que de baisser leur prix. On observe donc ce que Me Guindi appelle une value gap, c'est-à-dire un écart dans les perceptions des valeurs des entreprises.
La prudence est de mise
Situation temporaire? Difficile à prévoir pour le moment. Chose certaine, Me Guindi n'est pas le seul avocat d'affaires à avoir constaté un essoufflement. Dans à peu près tous les grands bureaux, on le ressent aussi.
«Les gens sont prudents, car ils s'inquiètent de la crise de la dette européenne et de ses répercussions possibles sur l'économie américaine», dit Clemens Mayr, associé chez McCarthy Tétrault, à Montréal. Or, souligne l'avocat, l'incertitude est ce qui freine le plus le marché des F&A. Optimiste, il ne pense pas que l'on se dirige pour autant vers une répétition des années 2007 et 2008, alors que les grandes transactions avaient stoppé net à la suite de la crise du crédit.
«Nous n'en sommes pas là, surtout au Canada où nos banques sont solides», soutient Me Mayr.
Howard Levine, associé chez Blakes à Montréal, explique que l'incertitude joue sur deux fronts: le financement des transactions et le prix des ressources. Parce que les marchés sont chambranlants, bien des acquéreurs hésitent à bouger, de peur d'être incapables de financer leur achat. Alors, ils attendent. De plus, l'activité en F&A dans le secteur des ressources est présentement moins dynamique qu'au début de l'année à cause des fluctuations - surtout à la baisse - des prix des matières premières.
Des cabinets s'en tirent bien
Moins de transactions équivaut à moins de boulot pour les avocats. Mais certains bureaux s'en tirent mieux que d'autres. Chez Osler, Blakes et McCarthy, on ne se plaint pas, tellement les affaires semblent bien rouler. Depuis janvier, les avocats d'Osler ont ainsi participé à 51 transactions impliquant des entreprises canadiennes, pour une valeur totale de 24,1 milliards US, assez pour conférer au cabinet le 1er rang canadien dans cette catégorie. Blakes, avec 67 transactions (21,8 milliards US) et McCarthy Tétrault, avec 55 transactions (19,8 milliards US) complètent le podium du classement de Thomson Reuters.
Blakes domine toutefois pour les transactions internationales. En neuf mois, ses avocats ont boulonné sur 88 transactions pour une valeur totale de 74,8 milliards US. Le cabinet se classe ainsi au 20e rang mondial, devancé uniquement par les géants américains et britanniques. Les autres canadiens dans le top 100 sont Norton Rose, 48e; Osler, 61e; Torys, 63e; Mccarthy Tétrault, 66e; Davies, 67e; Stikeman, 81e; Goodmans, 97e.
Shahir Guindi est d'avis que les grands bureaux d'avocats canadiens seront de plus en plus sollicités à l'échelle internationale. La raison? Les acheteurs - surtout financiers -, et donc leurs clients, sont présentement plus actifs à l'étranger qu'au Canada. Simple retour du balancier: en raison du dollar canadien très fort, les entreprises d'ici paraissent plus chères aux yeux des investisseurs, alors que les étrangères semblent avoir des valorisations dépréciées.
«La pression de vendre est plus forte à l'étranger qu'au Canada», conclut Me Guindi.
À MONTRÉAL ÇA BOUGE PETIT MAIS ÉNORMÉMENT...
Malgré le ralentissement des derniers mois, ce sont toujours les secteurs des ressources et des services financiers qui ont la cote auprès des acquéreurs. On l'a vu encore la semaine dernière lorsque la chinoise Sinopec a racheté la société d'exploration pétrolière et gazière canadienne Daylight Energy (représentée par Blakes) pour 2,2 milliards de dollars. À Montréal, les avocats sont davantage occupés par des transactions plus petites, dans le mid-market, autant dans le secteur de l'énergie qu'en haute technologie.
Récemment, les avocats d'Osler ont représenté les américaines IBM Corporation et Google pour les acquisitions respectives de Platform Computing (octobre 2011) et de Bump Technologies Inc., PostRank et de PushLife (printemps 2011). Osler a également conseillé Desjardins Capital de risque dans le cadre de la vente de Coradiant à BMC Software. Et il y a quelques semaines, Blakes a représenté ECU Silver mining dans sa fusion d'égaux avec Golden Minerals, une transaction de 600 millions de dollars. Fait intéressant, souligne Howard Levine, qui a piloté le dossier chez Blakes, le plan d'arrangement de cette fusion a été réalisé sous la nouvelle loi des sociétés par actions, en vigueur depuis février dernier. «Une première», indique l'avocat.