Le travailliste

Le cannabis, à une semaine de la législation

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Sébastien Parent

2018-10-11 14:15:00

De retour d’un séjour à Amsterdam, notre chroniqueur s’intéresse à l’encadrement des tests de dépistage au travail.
Me Sébastien Parent est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Me Sébastien Parent est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
À moins d’une semaine de la légalisation du cannabis d’un océan à l’autre au Canada, j’ai cru bon de présenter un bref portrait de l’encadrement des tests de dépistage en milieu de travail, au sein de la capitale des Pays-Bas.

Rappelons qu’une intervention législative en la matière a souvent été revendiquée ces derniers temps par les employeurs canadiens, en réponse à l’arrivée de la vente de la marijuana à des fins récréatives au pays.

Décriminalisation VS tolérance par les autorités

Si les cafés (« ''coffee shops'' »), où l’on offre au client du fumer du cannabis et d’acheter des produits dérivés, arpentent les rues d’Amsterdam (que l’on surnomme la Venise du Nord), il n’en demeure pas moins que la légalisation de cette drogue n’est que pur mythe.

En effet, dans ce coin de la Hollande-Septentrionale, la consommation de cannabis demeure toujours bel et bien proscrite par la loi, et est passible de sanctions pénales.

Cependant, les autorités policières tolèrent la consommation de drogues douces à des fins personnelles et en petite quantité. De cette façon, il est possible pour l’État de mieux contrôler cette industrie, par l’imposition d’une réglementation stricte aux commerçants qui s’adonnent à la vente de ce produit.

L’encadrement juridique des tests de dépistage à Amsterdam

Certains seront consternés d’apprendre qu’aux Pays-Bas, il n’existe aucun encadrement législatif particulier quant aux effets que la consommation de la marijuana peut avoir sur la prestation de travail des salariés. C’est donc au travers du prisme de diverses sources juridiques applicables à la relation d’emploi que la légalité des tests de dépistage a été analysée.

À cet égard, il faut savoir que les résultats d’un test de dépistage sont considérés comme étant une donnée sensible au sujet de la santé de l’employé. Par conséquent, contraindre un salarié à se soumettre à un test de dépistage, en vue de recueillir des informations sur l’usage de drogues par celui-ci, constitue une violation de son droit à la vie privée, au sens de l’article 10 de la Constitution néerlandaise de 2008 (''The Constitution of the Kingdom of the Netherlands''). ''Le Personal Data Protection Act'' accorde lui aussi une protection à l’encontre de la collecte de renseignements portant sur l’état de santé d’un individu.

C’est donc dire que pour justifier une atteinte au droit à la vie privée, l’employeur devra tout d’abord démontrer l’existence de motifs raisonnables de croire qu’un travailleur est intoxiqué sur les lieux du travail, avant de pouvoir le soumettre à un test de dépistage. Par la suite, il devra prouver que la consommation de drogue influence négativement le travail de cet employé. Notons toutefois qu’une réglementation spéciale s’applique pour les emplois à haut risque, notamment dans le secteur du transport aérien.

Fait intéressant, un employé peut initier volontairement le contact avec le médecin désigné pour administrer les tests salivaires ou les prises de sang dans l’entreprise, et ce, afin de vérifier s’il atteint un niveau d’intoxication pouvant compromettre l’exercice de ses fonctions. Dans un tel cas, les résultats demeurent confidentiels et ne sont pas communiqués à l’employeur.

Un droit du travail québécois inadapté ?

Au Québec, l’encadrement des tests de dépistage aux drogues partage le même principe fondamental qu’aux Pays-Bas. En effet, dans l’arrêt Goodyear Canada inc., la Cour d’appel provincial reconnaissait que les tests de dépistage portent atteinte au droit à l’intégrité de sa personne et au droit au respect de sa vie privée, tous deux enchâssés dans la ''Charte des droits et libertés de la personne''.

Par ces prélèvements envahissants, l’employeur est susceptible de s’immiscer dans la vie privée de ses employés, en prenant connaissance de périodes de consommation pouvant s’être déroulées hors du travail. De surcroît, les résultats de ces tests révèleraient à l’employeur des informations confidentielles sur la condition et l’état de santé des membres de son personnel, d’expliquer la Cour.

Ainsi, tout comme à Amsterdam, un employeur doit posséder des motifs raisonnables avant de soumettre un salarié à un test de dépistage, c’est-à-dire des raisons de croire que ce dernier est sous l’influence de substances interdites au travail.

Cela n’empêche certainement pas les employeurs d’élaborer une politique stricte sur l’interdiction de consommer alcool et drogues en milieu de travail, et d’éduquer ses employés face aux impacts de la légalisation du cannabis, notamment quant aux dangers potentiels dans l’exécution de leurs tâches. Les Pays-Bas misent d’ailleurs beaucoup sur le volet prévention et la mission éducative des employeurs sur le sujet, bien plus que sur l’aspect disciplinaire.

Pour tout dire, la jurisprudence québécoise est déjà équivalente à l’encadrement juridique des tests de dépistage à Amsterdam, qui fait figure de précurseur en matière de consommation de drogues douces depuis des décennies. Cherchant une citation adéquate pour clore cet article, mais en vain, je laisse donc le mot de la fin à notre cher Premier ministre fédéral :

« J’étais dans un souper sur ma terrasse, chez moi à l’arrière de la maison. Il y a quelqu’un qui a pris un joint, il l’a allumé, on l’a passé. J’ai pris une ''puff'' et je l’ai passé à la prochaine personne. » - Justin Trudeau


Auteur : Me Sébastien Parent

Me Sébastien Parent est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal ainsi qu’à Polytechnique Montréal, où il enseigne le droit du travail. Il est aussi doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Auparavant, il a complété le baccalauréat et la maîtrise en droit ainsi que le baccalauréat en relations industrielles au sein de la même université. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent est l’auteur de divers articles en matière d’emploi et agit aussi à titre de conférencier.
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