Preuves à rabais devant le TAT: idéal pour perdre sa cause?
Sébastien Parent
2018-07-19 14:15:00
Il s’agissait de litiges portant sur l’article 329 LATMP, lequel autorise un partage du coût des prestations reliées à une lésion professionnelle entre tous les employeurs cotisants au régime public, dans le cas où le salarié était déjà porteur d’un handicap au moment de la survenance de sa lésion.
Pour avoir gain de cause, l’employeur aura notamment à démontrer que la condition personnelle préexistante chez le travailleur dévie de la norme biomédicale, c’est-à-dire en comparaison à un groupe de référence correspondant aux caractéristiques du travailleur, notamment en termes de sexe et d’âge.
Un extrait du site Wikipédia
Une entreprise de service d’entretien prétendait que la dégénérescence discale dont est affligé le travailleur constitue une condition personnelle préexistante qui dévie de la norme biomédicale.
À cet égard, la seule preuve soumise se limitait à un article puisé sur le site Wikipédia, lequel présente la fréquence de la survenance d’une hernie discale selon les diverses parties du dos.
Sur ce point, le TAT signale que la valeur probante d’un extrait du site Wikipédia « apparaît d’emblée déficiente ». Il en est ainsi « puisque le concept derrière Wikipédia est une encyclopédie libre créée, et modifiée à leur guise, par des contributeurs anonymes, dont on ignore l’identité, mais de surcroît et surtout, le titre et les qualifications ». En l’absence d’autre élément de preuve plus fiable, le TAT rejette donc la demande patronale. (2018 QCTAT 1765)
Une étude médicale réalisée sur des cadavres
Dans une autre affaire, une entreprise d’excavation plaidait que la condition d’arthrose cervicale et celle de tableau clinique de douleurs chroniques cervicales présentes chez le travailleur constituent une déviation par rapport à la norme biomédicale.
À l’audience, l’omnipraticien mandaté par l’employeur réfère essentiellement à une étude cadavérique examinant la présence d’arthrose cervicale sur 465 squelettes humains.
Pour le Tribunal, le fait que cette étude soit réalisée sur des cadavres affecte grandement sa force probante, d’autant plus qu’une telle condition est parfaitement observable par de simples radiographies. Ainsi, le TAT qualifie la référence à cette étude d’« extrêmement boiteuse, voire non pertinente » aux fins du litige. Faute de preuve convaincante, la contestation de cet employeur est aussi rejetée. (2018 QCTAT 1779)
S’il faut admettre que démontrer l’existence d’une déviation par rapport à la norme biomédicale n’est pas toujours une mince affaire, cela n’amoindrit en rien l’obligation de soumettre des éléments de preuve fiables, qui possèdent une valeur probante significative.
« Lorsqu’il s’agit d’un miracle, n’importe quel signe visible fait l’affaire. Mais lorsqu’il s’agit d’un fait, il est nécessaire d’avoir une preuve » - Mark Twain (traduction libre)