Le travailliste

Quand tomber en amour mène au congédiement

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Sébastien Parent

2018-02-15 14:15:00

Cupidon leur a tiré une flèche en plein cœur sur les lieux de leur travail… Mauvaise idée, nous dit notre chroniqueur.
Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Une infirmière au département de psychiatrie d’un CSSS entretient une relation amoureuse avec une patiente, quelques mois après la fin de son hospitalisation. Une préposée à la cafétéria dans un CHSLD développe des sentiments amoureux pour un résident. Le cœur d’une agente des services correctionnels devient prisonnier d’un détenu. Une infirmière découvre qu’un adolescent âgé de 16 ans, ayant fréquenté le centre de service communautaire où elle travaille, est son âme sœur.

Quel est le point commun entre toutes ces personnes aux parcours professionnels différents ?

La réponse romantique : Cupidon leur a tiré une flèche en plein cœur au moment où elles s’y attendaient le moins, soit sur les lieux de leur travail.

La réponse de l’impitoyable avocat : elles ont entretenu une liaison amoureuse fatale dans le cadre de leur emploi. En effet, ces personnes ont toutes été congédiées.

Versant dans le romantisme en ce lendemain de la Saint-Valentin, j’explique pourquoi certains types d’emploi empêchent le salarié d’entretenir une relation amoureuse avec son patient ou son client.

Tomber en amour avec un client : une idylle dispendieuse…

Les employeurs hésitent rarement à procéder au congédiement d’un salarié qui a développé une relation amoureuse avec un patient ou un usager. Comme si on planifiait de tomber amoureux, me direz-vous. Choisit-on la personne qu’on aime ou n’est-ce pas plutôt l’amour qui nous choisit ?

Il n’en demeure pas moins que certains emplois se prêtent mal à ce que son titulaire soit en couple avec un usager ou un client sous la responsabilité de l’employeur. Diverses règles interdisant ce type de relation ont alors pour but non seulement de protéger une clientèle souvent vulnérable, mais aussi de préserver l’objectivité des intervenants ainsi que l’image et la qualité des services offerts par l’organisme.

À cet égard, si le professionnel fait partie d’un Ordre professionnel, son code de déontologie prévoira habituellement qu’il ne peut entreprendre de relation intime avec un patient ou un usager. C’est le cas par exemple du Code de déontologie des infirmières et des infirmiers, qui indique à son article 38 que « Pendant la durée de la relation professionnelle, l’infirmière ou l’infirmier ne peut établir de liens d’amitié, intimes, amoureux ou sexuels avec le client ».

Au surplus, dans ce genre d’emploi, l’employeur adopte bien souvent des règles très strictes interdisant de nouer une relation personnelle avec des bénéficiaires et de se placer en conflits d’intérêts, lesquelles sont consignées dans un code de conduite.

Même si l’amour peut rendre aveugle, la jurisprudence ne tolère donc pas qu’un salarié fasse preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de son code de déontologie et des politiques de l’organisme pour lequel il travaille.

Quelques facteurs atténuants ayant permis d’annuler le congédiement

En règle générale, le fait d’entretenir une relation intime avec un patient constitue un manquement grave, en plus de rompre le lien de confiance. Ainsi, dans la plupart des cas les congédiements ont été confirmés par les arbitres de grief, surtout lorsque la liaison entre le professionnel et son patient a entraîné des conséquences néfastes pour ce dernier ou lorsque le salarié a tenté de cacher la relation à son employeur.

Dans d’autres cas plus isolés, des facteurs atténuants ont permis de remplacer le congédiement par une longue suspension, certaines atteignant cependant jusqu’à 12 mois.

Parmi ces facteurs, on retrouve le consentement du patient (même si l’on peut se questionner sur sa légitimité) ainsi que l’absence d’abus ou d’exploitation de sa fragilité. À l’inverse, la vulnérabilité émotionnelle de l’employé, au moment où il a été courtisé par un client, n’est pas suffisante pour attirer la clémence du tribunal d’arbitrage.

Après tout, Beigbeder ne disait-il pas que « tomber amoureux, c’est avoir un nouveau problème à résoudre » ?

Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est aussi chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail. Auparavant, il a complété le baccalauréat ainsi que la maîtrise en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est également titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles de la même institution. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent est l’auteur de divers articles en matière d’emploi et agit aussi à titre de conférencier.
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1 commentaire
  1. francis
    francis
    il y a 6 ans
    tech
    Une relation amoureuse au même moment que la relation profesionnelle= je comprends.

    Sévir pour des relations qui ont débutés après? C'est de la dictature.

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