« Il n’existe pas de parcours typique...»
Dominique Tardif
2017-01-25 14:15:00
Je suis la première de la famille à avoir opté pour le droit. Déjà, jeune, on me disait que j’avais de la facilité à représenter les étudiants, à défendre mes idées, à faire des exposés oraux. On me disait, et dans le sens positif du terme, que j’étais certainement une future avocate.
Quand est venu le temps de choisir, j’ai donc appliqué en droit. Ayant eu la chance de travailler au sein de l’entreprise familiale, j’étais aussi intéressée par le milieu des affaires et ai aussi appliqué en gestion. J’ai décidé de choisir ma première idée, en me prédestinant au litige : j’aimais défendre les droits, l’écriture et les procédures, et le litige correspondait à l’époque à l’image que j’avais des avocats.
Après mes années de litige, je suis passée en entreprise, voulant participer à l’ensemble des projets et activités dont je discutais avec mes clients. C’était aussi une opportunité pour moi, qui aimais les communications et le marketing, de toucher un peu à tout. Chez Saputo, je me suis ainsi, avec le temps, formée en valeurs mobilières. Après 10 ans, j’ai cherché, étant jeune maman, plus de flexibilité dans mon travail et ai travaillé à mon compte, faisant aussi un peu de relations publiques.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon plus grand défi professionnel a été de participer au premier appel public à l’épargne de DAVIDsTEA, en juin 2015. Le défi venait, notamment, du fait que DAVIDsTEA est un émetteur canadien, mais listé seulement sur une bourse américaine. Nous appliquons ainsi les règles de gouvernance canadienne, tout en devant suivre les standards de la bourse NASDAQ. Nous avons un actionnaire de contrôle canadien, et beaucoup d’investisseurs institutionnels américains.
La conjugaison de tout cela, dans le cadre du premier appel public à l’épargne, rendait les choses beaucoup plus complexes. Il s’agissait d’amener les avocats américains à travailler avec les avocats canadiens, en départageant les situations où il fallait appliquer le droit canadien plutôt qu’américain, et vice versa. Mon travail consistait à coordonner les choses, à faire des recommandations quand on avait, parfois, le choix d’appliquer certaines règles ou d’autres. Une fois le premier appel public à l’épargne complété, il s’est agi de s’assurer de la marche à suivre à chaque fois qu’une nouvelle situation se présentait. Ce fut donc une « succession de premières fois » et de créations de premiers précédents.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, je ferais en sorte qu’il y ait moins de cloisons, moins de compétition entre les uns et les autres au sein d’un même cabinet et plus de travail d’équipe. Si le client appartenait à tous, cela bénéficierait non seulement au client, comme ses avocats externes auraient une vision plus globale de la réussite de l’ensemble de l’entreprise (plutôt que strictement de la leur), mais cela faciliterait par ailleurs l’équilibre travail / famille.
En effet, si tous travaillaient de concert pour un client, personne ne craindrait de « perdre sa place » et la responsabilité de ce dernier. Les femmes se sentiraient quant à elles pleinement heureuses de quitter en congé de maternité, avec l’assurance que quelqu’un prendrait les dossiers en charge. Il y a, malheureusement, de moins en moins de femmes associées : la conciliation est difficile. Le modèle à quatre jours par semaine n’a, quant à lui, que peu fonctionné. Et s’il est faux de dire qu’on travaille moins en entreprise qu’en cabinet, on a cependant souvent moins la nécessité d’être physiquement présent : les choses sont, généralement, plus axées sur la livraison du résultat que la présence tôt le matin ou tard le soir.
4- La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Peut-être ai-je des lunettes roses (!), mais j’ai l’impression que la perception se porte mieux. Le public a, à mon avis, une meilleure idée et compréhension de ce que l’avocat fait : il ne s’agit plus que de droit de la famille et de droit criminel.
Je crois aussi que la plus grande présence des avocats en entreprise favorise cette meilleure compréhension, et fait jouer aux avocats un rôle plus proactif que réactif. Le recours à la médiation, en litige, permet aussi de redorer le blason de la profession, en démontrant que les avocats interviennent non seulement quand il y a des conflits, mais aussi pour trouver des solutions à moindre coût pour le client.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et rêvant d’être à la tête des affaires juridiques d’une entreprise?
Je ne suis pas certaine qu’il existe un parcours typique pour y parvenir : j’en suis la preuve!
Lorsqu’on est étudiant, on a une idée de ce que l’on veut faire. On a ainsi souvent tendance à faire son stage avec cette idée en tête. Ce n’est évidemment pas une mauvaise chose, mais je crois néanmoins que la rotation entre divers domaines de droit est bénéfique. En effet, elle peut nous faire réaliser que le droit et sa pratique au quotidien dans un secteur donné sont deux choses bien différentes. Elle peut aussi nous faire aimer un autre domaine.
Dans le même sens, il faut réaliser que ce n’est pas parce qu’on aime la gestion qu’on aimera nécessairement la vie en contentieux. Il est important, avant de « faire le saut », de se demander si la gestion nous intéresse de façon principale ou secondaire. Alternativement, il convient mieux, pour certains, d’accepter des rôles de gestionnaires au sein de leur cabinet.
Je crois que le fait de trouver un mentor est également très important. Un mentor, c’est quelqu’un qui nous partagera son expérience, qui nous outillera et nous aidera à devenir un meilleur employé. Pour moi, le fait d’avoir eu un mentor a beaucoup aidé et a fait une énorme différence.
Enfin, il faut savoir saisir les occasions, tant en cabinet qu’en contentieux, et demeurer ouvert d’esprit. Parfois, ce qu’on nous demande de faire, même si cela nous paraît au départ moins attrayant, peut nous donner une visibilité inattendue nous amenant à connaître des gens qu’on n’aurait pas autrement connu et à ajouter des « cordes à notre arc ».
Enfin, développer des relations avec ses clients pour mieux comprendre la réalité des entreprises qu’on dessert aide à apprendre les bases du rôle en contentieux. On constate alors aussi que le rôle d’un conseiller juridique varie d’une entreprise à une autre, en étant plus étendu à une place et plus restreint à une autre.
· Le dernier bon livre qu’elle a lu – « La femme qui fuit » (auteure : Anaïs Barbeau-Lavalette)
· Le dernier bon film qu’elle a vu – Le film familial « Comme des bêtes » (réalisateurs : Yarrow Cheney et Chris Renaud)
· Sa chanson fétiche – « It’s a beautiful day » (de U2, un groupe qu’elle adore)
· Son expression préférée – « Derrière chaque nuage, il y a toujours du soleil ».
· Son péché mignon – elle craque pour… le sourire de sa fille!
· Son restaurant préféré – le Filet (avenue Mont-Royal Ouest)
· Elle aimerait visiter … la Russie
· Si elle n’était pas avocate, elle…aurait un rôle qui serait un mélange de communications, de coaching et d’implications sociales. Il y a tant de choses qui l’intéressent!!