L’avocat du Premier ministre
Dominique Tardif
2018-08-22 14:15:00
L’élément déclencheur, dans mon cas, est venu d’une conversation avec un professeur de droit de l’Université Laval, alors que j’étais en sciences de la santé au Cégep.
Par défaut, je m’orientais vers une carrière scientifique… sans grand enthousiasme. Lors d’une journée où l’Université Laval était en visite à mon Cégep, j’ai eu une longue discussion avec un professeur et le droit m’a accroché. Je n’y avais tout simplement jamais pensé. J’avais, oui, un oncle avocat, mais il n’y avait pas de « tradition pour le droit » dans la famille.
J’aimais beaucoup la rédaction et l’histoire et, comme peu d’autres, j’avais pour ma part beaucoup aimé mes cours de philosophie. Le droit représentait, pour moi, de la philosophie appliquée, apportait un cadre aux problèmes du quotidien, un raisonnement et une logique.
Je n’ai jamais regretté mon choix. Dès mes premiers cours, j’ai adoré et pu confirmer que j’avais fait le bon choix.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
J’ai vécu plusieurs défis dans ma carrière, mais celui auquel je pense spontanément est l’un de ceux que je vis en ce moment, à savoir comprendre la différence entre, d’une part, le fait de représenter un client et, d’autre part, le devoir de recul que mes fonctions actuelles m’imposent.
Je me retrouve, en effet, à travailler sur des projets de loi, à conseiller et à suivre les grands dossiers de litige, de même qu’à travailler avec les différents ministères sur les positions à adopter… et les positions que le gouvernement adopte ont des répercussions beaucoup plus grandes que celles que peut habituellement avoir un dossier de pratique privée.
Ce défi, je l’ai vécu encore la semaine dernière, avec l’annonce d’une réforme de la participation des organismes de bienfaisance aux débats publics. La règle selon laquelle ces organismes ne peuvent y dépenser plus de 10 % de leur budget annuel est contestée depuis longtemps, et nous nous sommes rangés aux arguments du secteur en décidant d’enlever cette limite.
Or, parallèlement, un jugement de la Cour supérieure a déclaré les dispositions en question inconstitutionnelles. Nous devions décider si nous allions ou non porter la décision en appel, et avons répondu par l’affirmative puisque même si nous sommes en accord avec le résultat du jugement, nous sommes d’avis que les motifs invoqués par le juge risquent de causer des problèmes dans d’autres dossiers.
Quotidiennement, il est donc important pour moi de penser non pas en termes de dossiers individuels, mais en termes d’impacts sur la société et l’appareil gouvernemental.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, je réglerais le problème pressant et criant d’accès à la justice, qui a à son tour toutes sortes d’impact sur la façon dont les tribunaux fonctionnent : sur les budgets, sur les délais, sur la façon dont les lois sont mises en œuvre et appliquées dans la réalité.
Sans un accès réel à la justice, on risque parfois de voir un texte de loi rester lettre morte.
En ce sens, les gouvernements ont un rôle à jouer, de même que la profession quant à ses pratiques et façons de faire. Les gens ont aujourd’hui, via internet, accès à bien de l’information, alors que l’intelligence artificielle vient elle aussi jouer un rôle. Il est nécessaire, comme profession, de s’adapter et de trouver des moyens d’offrir à la population des services dont elle a besoin, et ce, à un prix qu’elle peut s’offrir.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Il m’est difficile de dire si les choses sont meilleures ou pires, mais chose certaine la population ne sent pas que la profession est suffisamment « là pour elle ». Faire un effort – et ne pas seulement en parler – pour assurer à la population un accès à la justice à un coût raisonnable est nécessaire. Beaucoup en parlent, mais il nous faut entendre parler plus souvent de résultats favorables, ou du fait qu’un projet en ce sens a bien fonctionné.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière en droit et voulant éventuellement se lancer en politique?
Il faut d’abord s’intéresser à la « chose publique » de façon générale.
Il faut s’impliquer en étant ouvert d’esprit et curieux, en prenant des risques et en n’ayant pas peur de ses convictions. On peut commencer en s’impliquant dans son ordre professionnel, sur des conseils d’administration, auprès d’organismes de bienfaisance et dans des partis politiques. Le fait est que personne ne viendra nous chercher s’ils n’ont pas entendu parler de nous!
L’implication permet notamment de démontrer qu’on est capable de livrer au-delà de nos simples dossiers, qu’on a une capacité à organiser les gens, à faire avancer une cause et à la défendre sur la place publique, à réunir et rassembler les gens.
- Le dernier bon livre qu’il a lu : il relit actuellement : Becoming a Man : Half a Life Story (auteur : Paul Monette), un livre qu’il a lu à 19 ans à l’époque de son propre coming out.
- Le dernier bon film qu’il a vu? Love, Simon (réalisateur : Greg Berlanti) - l’histoire d’un jeune qui fait son propre coming out.
- Sa chanson fétiche : Le petit roi (interprète : Jean-Pierre Ferland)
- Sa citation préférée? « il n’y a pas de problème, seulement des solutions! »
- Son péché mignon : Le chocolat noir!
- Son restaurant préféré : Le Riviera (Ottawa), à la fois beau et bon!
- Il aimerait visiter…Le Japon.
- Le personnage historique qu’il admire le plus et pourquoi : Samuel de Champlain, parce qu’il est allé à la poursuite d’un rêve, à savoir celui d’établir un nouveau monde. Il avait (et même si les choses n’ont pas toujours bien fonctionné) la vision d’une nouvelle Amérique où les Français et les Autochtones formeraient un nouveau peuple, quelque chose qui demeure d’actualité dans le processus de réconciliation actuel.
S’il n’était pas avocat et politicien…il ouvrirait un restaurant, du genre cuisine du marché, avec des produits frais et locaux