La passionaria des chiffres
Mélissa Pelletier
2017-03-13 11:15:00
Avec un baccalauréat en commerce de l'Université Concordia en poche, comment la Montréalaise s'est-elle retrouvé à travailler dans ce domaine? « Je suis vraiment tombée dedans! », avoue-t-elle en riant. « J'avais terminé mes études, et j'ai été travailler comme commis comptable dans la compagnie de mon père. Les emplois en marketing étaient plutôt rares à cette époque. C'était en 1991, en pleine récession. » Ce qui devait durer seulement deux semaines « le temps de trouver quelque chose » s'est mué en deux années qui allaient changer sa vie.
Quand la compagnie de son père, Les Pièces de Camions Laurent Inc, s'est mise à éprouver des difficultés, la jeune femme est vite tombée en mode solution: « La compagnie a fait faillite avec un syndic, et j'ai continué à travailler avec lui pour ce dossier-là. Le syndic m'a ensuite offert un emploi, en me demandant d'aller faire mes cours, car je n'avais aucune idée de ce qu'étaient l'insolvabilité ou la restructuration… Le reste fait partie de l'histoire, comme on dit! »
Après avoir reçu la désignation professionnelle agréée de l'insolvabilité et de la réorganisation en 1997, c'était parti!
Avec plus de 17 ans d'expérience derrière la cravate chez Appel et compagnie, chez Solange Tremblay et associés et Aberback, Lapointe et associés, la passionnée des chiffres a accepté un poste chez MNP où elle a débuté le 1er août 2011. La firme nationale commençait alors à faire ses marques à Montréal et elle est aujourd'hui le 5ème plus grand cabinet au Canada.
Comme des médecins d’urgence
La situation précaire de la compagnie de son père, aujourd'hui fermée, l'aura finalement menée vers une carrière très florissante. « Quand une porte se ferme, une fenêtre s'ouvre! » Même que le fait de gérer les difficultés financières d'une entreprise de l'intérieur lui aura été très bénéfique: « Ça me donne une expérience supplémentaire, puisque je l'ai vécu de l'autre côté de la table. Je connais les émotions. »
Les clients de Sheri L. Aberback se retrouvent souvent devant de grosses difficultés financières. « On conseille des personnes qui n'avoueraient même pas la gravité de la situation à leur femme ou à leur meilleur ami. Avec nous, ils sont obligés de tout dire sur la compagnie, autant le bon que le mauvais. » Parfois, il est malheureusement trop tard pour sauver l'entreprise.
D'où l'importance, selon Aberback, de réagir rapidement. « Dans certains cas, les gens nous appellent quand ils sont déjà en faillite... Plus vite la personne vient nous parler, plus il y a de chances de survie. En fait, nous sommes des médecins d'urgence dans le domaine de la santé financière. » Si le client se présente plus tôt, ça permet à l'équipe de 14 personnes du département de tenter de trouver les solutions les plus efficaces. « Il faudrait venir nous voir dès qu'il y a de la difficulté à payer les banques et les créanciers, une crise de liquidités, que les ventes ne sont plus là, lors de la perte d'un gros contrat ou toutes autres raisons qui font douter de la bonne santé financière de la compagnie. »
Grâce aux informations données par le client « le plus, c'est le mieux », Aberback et son équipe peuvent tout faire pour tenter de redresser la situation. « On aime les chiffres. On va demander au client de nous apporter l'état financier de l'entreprise. On va commencer à décortiquer et analyser: est-ce qu'on a une façon de réorganiser la compagnie? Est-ce qu'on a juste besoin d'un refinancement? Est-ce que c'est mieux de tout fermer? »
Travailler sur des cas aussi lourds peut parfois être plutôt épuisant. « Il y a toujours un humain au-delà des chiffres. Au début, ce n'est pas évident d'annoncer à des personnes que leur compagnie va fermer, ou que certains vont perdre leur emploi...» Comment fait-elle pour garder la tête froide? Si la passionnée de sports avoue qu'elle adore le golf et le baseball, c'est plutôt dans ses relations familiales qu'elle trouve la force de faire son métier. Mariée et mère d'un garçon de 17 ans et d'une fille de 12 ans, Aberback admet que son quotidien serait beaucoup plus dur sans eux: « Sans le support de mon mari, je ne serais pas capable de faire ce que je fais. Ce n'est pas du 9 à 5, et il y a des dossiers assez intenses. Je peux être en vacances et recevoir un appel “ Sheri, l'immeuble est en feu, aide-nous! ”. Je dois répondre! »