Partenaire de litiges
Martine Turenne
2015-10-29 14:30:00
« Les vérificateurs s’assurent de manière raisonnable que les états financiers d’une entreprise sont fiables. En mode juricomptable, on ne prend pas pour acquis que ça l’est. Les transactions sont revues en détail, de manière très minutieuse. Cette diligence fournit une mine d’informations très précieuses. Et permettra de cibler notre recherche là où on croit qu’il y a des risques. »
Denis Hamel travaille avec l’assurance que lui confèrent ses trente ans d’expérience. Ce diplômé de l’UQAM a développé l’art d’interpréter les données et celui d’écouter. La très grande majorité de ses mandats lui sont confiés par des firmes d’avocats. Il travaille toujours sur des cas litigieux : dispute contractuelle, oppressions des actionnaires, employé parti avec la recette secrète, fraudes diverses…
Parfois, les informations qui l’aiguillent vers tel ou tel aspect de la comptabilité proviennent de dénonciations: anciens employés, victimes, lettres anonymes. L’un de ses mandats sera de quantifier les dommages.
Ses clients sont issus de milieux divers : manufacturiers, firmes d’ingénieurs ou multinationale aéronautique. « Mon background en syndic de faillite m’aide beaucoup », dit le juricompatable qui s’estime ainsi mieux placé pour comprendre et évaluer.
Travailler avec les avocats
Denis Hamel co-dirige une équipe d’enquête de sept personnes. De par la nature de leurs mandats, ils travaillent la plupart du temps de concert avec une équipe juridique. « On comprend bien la mécanique du système judiciaire. On peut coacher des avocats sur tous les aspects financiers du litige. Certains d’entre eux savent très bien comment on fonctionne, d’autres ont besoin de plus d’accompagnement. »
La moitié de ses dossiers sont réglés à l’amiable, une issue souhaitable, dit-il, que l’on obtient lorsque les parties arrivent à « dégonfler la balloune émotionnelle ». « Quand tout l’argumentaire financier est bien documenté, l’émotion tend à diminuer, croit-il. Ce qui permet aux gens de poursuivre pour les bonnes raisons. L’écoute est de mise. J’ai vécu des séances de médiation qui ressemblaient à des thérapies de groupe. Il ne faut surtout pas arriver en “pitbull”.»
Il conseille aux avocats d’impliquer des juricomptables le plus tôt possible dans le processus. Avant les interrogatoires. Un rapport peut être produit dès l’étape de la requête. « Les avocats les plus sages retiennent nos services dès les débuts. »
L’ère de la transparence… et de la vigilance
Selon M. Hamel, le scandale Enron a été le déclencheur d’importants changements dans le monde de la juricomptabilité. On a su que personne n’était à l’abri. Qu’en ces temps de wikileaks, toute vérité finit par sortir au grand jour.
Ce méga-scandale, suivi de plusieurs autres, dont les Norbourg et Mount Real au Québec, ont aussi apporté des changements dans les cabinets comptables. Soudain, tout le monde voulait tout faire vérifier. L’offre s’est multipliée dans les cabinets, au point de provoquer régulièrement des conflits d’intérêts. Difficile de vérifier un aspect particulier d’une entreprise déjà cliente d’un autre département de la firme…
Ancien de Deloitte, « qui vérifiait la moitié de Québec Inc », Denis Hamel apprécie le fait que les clients de MNP sont davantage issus du secteur privé. Les risques de conflits d’intérêts sont ainsi rarissimes. En attendant, les demandes déboulent. « Plus les dossiers sont gros, compliqués, et implique l’international, plus c’est stimulant.».
Ouverture à l’international
C’est à l’international justement que plusieurs firmes canadiennes ont été mises à mal dans des dossiers de corruption ces dernières années. Avec l’économie qui se globalise toujours plus, les tentations sont grandes de jouer le jeu de certains dirigeants peu intègres. « À l’étranger, les firmes canadiennes doivent respecter les règles anti-corruption en vigueur au Canada et elles sont claires », explique l’associé de MNP.
De manière générale, « il n’y a pas de pandémie d’honnêteté ! Pas plus ici qu’ailleurs ». Il ne croit pas que le Québec soit plus ou moins corrompu que d’autres provinces canadiennes. Seulement « on attaque le dossier de front ». « En Ontario, on sait que 5% des revenus part en fraude et on vit avec. Ici, au Québec, on n’a pas eu le choix de regarder plus attentivement certains secteurs, comme la construction, et on a formé plus de juricomptables.»
Il n’y a peut-être pas plus –ni moins- de fraudes, mais il y a plus de vigilance. « Je ne m’en plains pas. Ça nous fait beaucoup de travail ! », conclut-il.