Action collective contre l’Église : témoignage d’un homme de 101 ans
Radio-Canada Et Cbc
2025-01-23 13:15:30
Même si Roger Bergeron a aujourd'hui 101 ans, les souvenirs de son douzième été sont encore vifs. Assis sur son fauteuil roulant, il est venu expliquer mercredi, au palais de justice de Sherbrooke, comment l’abbé Joseph-Xyste Desautels l’aurait forcé à commettre des gestes de nature sexuelle à cette époque. Son témoignage s’inscrit dans le cadre d'une action collective contre l’archidiocèse de Sherbrooke.
« Je m’en souviens comme si ça venait d’arriver », a souligné l’aîné, qui vit aujourd'hui dans une résidence pour personnes âgées à Sherbrooke. « Ça ne s’oublie pas, ça », a-t-il ajouté à la sortie de l'audience.
Roger Bergeron s’est rendu devant la cour avec son ami et proche-aidant pour le soutenir.
Il a raconté qu’il vivait à Saint-Georges-de-Windsor au moment des événements. Joseph-Xyste Desautels était alors le curé de la paroisse. Enfant, il n’avait pas de contact avec l’homme religieux, sauf quand il se rendait à la messe le dimanche et qu’il chantait à la chorale.
Sauf qu’un jour, l’abbé aurait demandé à sa mère l’autorisation de l'emmener dans une escapade dans la capitale nationale. « Ma mère était contente parce que j’allais à Québec avec le curé », a-t-il dit. Surtout que le curé était un « homme respecté, aimé de tout le monde ».
Durant le séjour, tous deux auraient dormi dans le même lit à l'hôtel du Château Frontenac. C’est à ce moment que tout aurait basculé. « Il a pris mes mains et voulait que je touche à son pénis », a déclaré Roger Bergeron.
« Je me retirais autant que possible, mais il était plus fort que moi. J’ai senti le pénis trois ou quatre fois. Mais il n’a pas réussi à faire ce qu'il voulait avec moi. Quand il a vu qu’il ne pouvait pas réussir, il s’est masturbé ».
Le retraité s’est exprimé avec clarté. Ses déclarations étaient ponctuées de brefs instants d’hésitation, mais il a fourni de nombreux détails.
Le lendemain matin, après une nuit angoissante, sans sommeil, l’abbé Desautels l’aurait reconduit à Saint-Georges de Windsor sans prononcer un mot dans la voiture. Aucun autre geste de nature sexuelle n’aurait été commis par la suite, selon le plaignant.
Roger Bergeron aurait gardé son secret pendant 89 ans, avant qu’un ami ne lui parle de l’action collective en cours contre l’archidiocèse de Sherbrooke.
Son identité était protégée par une ordonnance de non-publication de la cour, mais le centenaire, qui a travaillé pendant 18 ans à l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke, tenait à parler au grand jour.
« Je veux que justice soit rendue. J’aurais aimé qu’il ait été vivant, parce qu’il mériterait d’être puni sévèrement », a-t-il laissé tomber en s’adressant aux médias à la sortie de la salle d’audience.
Action collective
Plus d’une centaine de personnes poursuivront au civil l'archidiocèse de Sherbrooke pour obtenir un dédommagement. Elles arguent avoir subi des abus sexuels qui auraient eu des conséquences sur leur santé mentale et physique et souhaitent obtenir une compensation financière.
Les allégations concernent au moins une quarantaine, voire une cinquantaine de membres du clergé, dont les abbés Bruno Dandenault et Robert Jolicoeur.
La somme que réclament les plaignants demeure inconnue. « Pour l’instant, il est difficile de chiffrer le nombre, parce que ça dépend du nombre de victimes ».
Les avocats représentant le demandeur sont Mes Justin Wee et Alain Arsenault du cabinet Arsenault Dufresne Wee avocat.
Les avocats représentant le l’archidiocèse de Sherbrooke sont Mes Jean-François Gagnon et Elisabeth Neelin du cabinet Langlois.
« La peur change de camp »
L’associé du cabinet Arsenault Dufresne Wee avocats, Justin Wee, qui représente les plaignants, s’attend à ce que d’autres personnes décident de prendre part à l’action collective dans les prochains mois. « Chaque fois qu’il y a une couverture médiatique, les victimes n’ont plus peur de s’adresser à la cour ».
Selon lui, « la peur change de camp ». L’Église n’a plus la même autorité, et des personnes comme Roger Bergeron sont prêtes à révéler ce qu’elles estiment être la vérité.
« Ce qui se passait avant, c’est que l’Église était si puissante que les gens avaient peur. Elles ne révélaient pas ce qui leur était arrivé, elles avaient peur que les gens ne les croient pas. Combien de fois des victimes nous ont raconté que des parents les ont maltraitées après avoir parlé en mal du curé et de leur agresseur ».
Le juriste lance d’ailleurs un appel. « J’invite tous les témoins qui ont des informations à venir s’exprimer, à nous contacter pour que justice se fasse ». Pour le moment, il n’existe aucune date butoir pour participer au recours collectif.
Mercredi, le juge Sylvain Provencher, après avoir entendu le témoignage de Roger Bergeron, a demandé aux parties de préparer leur dossier pour décembre 2025. Sans statuer une date précise, il a spécifié que le procès devra se tenir en 2026.
Si Roger Bergeron a témoigné avant le début du procès, c’est en raison de son âge avancé. Son état de santé pourrait se détériorer dans les prochains mois et l’empêcher de prendre la parole. Une autre victime, mourante en raison d’un cancer, a été entendue devant la cour en décembre dernier.
Rare cause à aller en procès
L’action collective est l'une des rares à se retrouver en procès. D’autres organisations religieuses de la province ont dédommagé des plaignants, mais elles l’ont fait après avoir négocié, sans tenir un débat devant un juge. Sans l’affirmer directement, Justin Wee laisse entendre qu’une entente à l'amiable est peu probable à Sherbrooke.
« Écoutez, les avocats du diocèse ont notre numéro de téléphone. Ils peuvent toujours nous contacter. On a essayé des négociations pendant plusieurs mois, ça n’a pas fonctionné ».
L’archidiocèse de Sherbrooke a refusé la demande d’entrevue de Radio-Canada « par respect pour le processus judiciaire ».