Charte des valeurs: le mémoire du Barreau coulé

Emeline Magnier
2014-01-20 15:00:00

«C'est exceptionnel qu'un mémoire soit coulé avant l'audition devant les parlementaires, c'est très particulier», a souligné la bâtonnière du Barreau du Québec.
Situation déplorable
Elle rappelle que dans le cheminent normal d'une consultation publique, le contenu du mémoire n'est jamais révélé au public, et qu’il est présenté en primeur aux parlementaires qui doivent rester à l'abri des médias et d'une quelconque influence avant l'audition.
«Cela nous place dans une position qu'on n’apprécie pas», déplore-t-elle. Elle ne cache pas sa surprise devant ce coulage alors que du côté du Barreau, seuls les bâtonniers de section avaient reçu copie du document. «Je serai très surprise que cela vienne de chez nous.»
Si une telle divulgation ne s'était jamais produite auparavant, la bâtonnière rappelle qu'il est de la responsabilité du Parlement d'adopter un processus rigoureux de gestion pour que la consultation puisse se dérouler dans des conditions optimales.
Malgré tout, elle reste confiante sur l'accueil du mémoire par la commission. «Nous avons fait un travail rigoureux et minutieux, appuyé par de la jurisprudence et des traités internationaux; je pense que cela nous donne une grande crédibilité.»
Analyse juridique, sans opinion politique

«L'objectif du mémoire est de fournir une analyse juridique, sans expression d'opinion politique ou d'opportunité, et ainsi d’éclairer les parlementaires sur la rédaction du texte», explique Me Brodeur.
L'ordre professionnel salue le fait que le législateur ait souhaité que le texte respecte la Charte québécoise et la Charte canadienne des droits et libertés, sans faire usage de la clause nonobstant.
La recette juridique
Ceci étant, de nombreux bémols et faiblesses sont mis en évidence par la Barreau, qui veut donner la recette au gouvernement et pointer les critères jurisprudentiels applicables.
«Le législateur indique vouloir réitérer le principe de la neutralité de l'état. Or, la neutralité implique que les citoyens puissent vivre leur religion et pas que l'état les en empêche ou leur impose une religion.»
Me Brodeur regrette qu'aucune analyse détaillée, aucune donnée ni étude sociologique n'ait été soumise à l'appui du texte supporté par le ministre Bernard Drainville. «Peut-être les a-t-il? Mais en tout cas, rien n'a encore été dévoilé.»
Et pour la question de la laïcité de l'état, elle en vient à la même conclusion: «Il faut un débat, un consensus; ça doit être un arrangement».
Quant aux accommodements raisonnables, si le gouvernement veut des balises et désire les mettre dans un texte de loi, la bâtonnière rappelle qu'elles doivent rencontrer les tests que les tribunaux opèrent.
«Le texte ne passera pas»

Citant en exemple l'obligation pour un employé de l'état d'avoir le visage découvert, et considérant que le texte forcera les organismes publics à refuser presque systématiquement toute demande d’exception, Me Brodeur réitère: les accommodements doivent être évalués au cas par cas.
«Ils doivent être accordés sauf si c'est déraisonnable et qu'ils constituent une contrainte excessive. Les interdictions mur à mur ne sont pas conformes.»
Au travers de ses rappels et des ses recommandations, le Barreau veut permettre au législateur de pallier les lacunes soulevées, ou le cas échéant, de prendre la décision de reculer.
«On est au début du processus de réflexion, beaucoup de choses peuvent encore se passer, dont des impondérables électoraux. Les parlementaires vont avoir matière à réfléchir», commente Me Brodeur.
En attente de l’audition
Si l’avis du Barreau est toujours très attendu dans le cadre de consultations publiques, elle ne pense pas que sa position d'intervenant technique pèsera plus que celle des intervenants sociaux, qui se prononcent notamment sur l'opportunité du texte.
250 mémoires ont été déposés en Commission parlementaire, dont plusieurs issus de groupes de juristes. Le gouvernement ayant décidé d'entendre les intervenants suivant l'ordre de réception des documents, le Barreau ne devrait pas être entendu avant le mois de février.
«Compte tenu de la situation, nous avons demandé à pouvoir passer avant. Si notre demande n'est pas reçue, je respecterai», indique Me Brodeur qui se dit fière de monter à la tribune pour défendre le mémoire. «Il cadre parfaitement avec la mission de notre ordre: la défense du public».