Début d’un procès en français pour agressions sexuelles en Alberta
Radio-canada Et Cbc
2024-01-16 13:30:44
Le procès en français de Richard Robert Mantha s’apprête à débuter à la Cour de justice de l'Alberta, à Calgary.
L’accusé, qui fait face à 20 chefs d'accusation – notamment d’agression sexuelle sur sept femmes –, a demandé que son procès se déroule en français, ce qui lui a été accordé.
L’homme de 59 ans, connu sous le nom de « Poncho » par les victimes présumées, est accusé de multiples agressions sexuelles commises sur des travailleuses du sexe de Calgary entre 2020 et 2023. Celles-ci affirment qu'elles ont été droguées et, dans certains cas, enlevées, puis agressées sexuellement. Aucune des accusations n'a encore été prouvée en cour.
Conformément à la section 530 du Code criminel, un accusé a le droit d’obtenir un procès dans l'une des deux langues officielles de son choix, et ce, peu importe la province dans laquelle il se trouve.
Un tel droit est crucial, comme l'explique le professeur en justice criminelle à l’Université Mount Royal, à Calgary, Doug King. Un accusé a le « droit de comprendre la procédure à laquelle il est confronté ».
« S'il y a une barrière linguistique qui entraîne une mauvaise compréhension de ce que la Couronne dit, de ce que les preuves suggèrent ou de votre aptitude à présenter vos arguments, s'il y a un problème [sur le plan] de la langue, cela met en danger votre droit à un procès équitable. »
Le conseiller principal en communication à la Cour de justice de l'Alberta, Olav Rokne, est du même avis: « Compte tenu des répercussions significatives [auxquelles] une personne fait face lorsqu’elle est accusée d’une infraction criminelle, il est impératif [qu'elle] comprenne parfaitement les accusations portées contre elle. »
De potentielles barrières procédurales ne pourraient pas être invoquées pour refuser une demande de procès en français, souligne d'ailleurs Me Ravi Prithipaul, avocat bilingue en droit criminel à Edmonton.
Il a défendu des causes dans les deux langues et cite en exemple un procès auquel il a pris part, qui devait initialement avoir lieu à Fort McMurray, mais qui a été déplacé à Edmonton, « pour faciliter la recherche d'un jury francophone ».
Dans l'éventualité où il y aurait des témoins qui s'expriment en anglais, comme ce sera le cas dans le procès de Richard Robert Mantha, des interprètes traduiraient les témoignages, explique Olav Rokne.
Le professeur en justice criminelle à l'Université Mount Royal, Doug King, précise aussi que la Cour de justice de l’Alberta et la Cour du Banc du Roi, les deux cours provinciales albertaines qui tiennent des procès criminels, ont des listes de juges francophones ou bilingues: « Ce n’est pas un problème de trouver un juge qui parle et comprend le français. »
Le plus compliqué, ce sont les causes criminelles qui sont entendues devant jury, car il ne s’agit pas simplement de trouver 12 personnes qui parlent français, fait valoir le juriste. La Couronne et la défense ont le droit « d'examiner les personnes susceptibles de faire partie d'un jury, et peuvent faire en sorte que les personnes soient excusées de leur devoir de juré ».
Le procès de Richard Mantha ne se déroule pas devant un jury.
Des risques pour la transparence envers le public
Avec un procès en français dans une province majoritairement anglophone vient le risque, pour les journalistes et les personnes anglophones qui assistent aux procès, de ne pas comprendre ce qui se dit.
Le président de l'Association canadienne des journalistes, Brent Jolly, craint qu’un tel procès, dont la teneur est d’intérêt public par sa nature et son ampleur, ne soit pas couvert convenablement par les médias albertains: « De nombreux observateurs l'ont noté au fil des ans : lorsque la Cour parle, qui l'écoute? C'est le travail des journalistes de combler ce vide d'information important. »
Selon lui, la Cour devrait prendre des mesures supplémentaires pour s'assurer que les journalistes disposent des ressources dont ils ont besoin, « en particulier pour fournir une couverture juste et précise du procès et, plus généralement, pour respecter leur objectif plus large, qui est de maintenir la confiance du public envers le système juridique. »
« La règle générale, c'est que toute cause criminelle est ouverte au public, mais le public n'a pas nécessairement le droit d'exiger une traduction de ce qui est dit par les avocats », explique Ravi Prithipaul, avocat bilingue en droit criminel.
Pour Me Prithipaul, la notion qui prévaut, c'est le droit à un procès juste et équitable pour l’accusé, et ce, même si, dans une province à majorité anglophone, certaines personnes ne peuvent pas comprendre le déroulement du procès.
Section 530 (1) du Code criminel :
Sur demande d’un accusé dont la langue est l’une des langues officielles du Canada, faite au plus tard au moment de la comparution de celui-ci au cours de laquelle la date du procès est fixée, un juge, un juge de la cour provinciale, un juge de la Cour de justice du Nunavut ou un juge de paix ordonne que l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.