Démissionnaire d’un cabinet… mais admissible à l’assurance-emploi!
Didier Bert
2024-12-19 10:15:50
Une adjointe juridique obtient que sa démission soit reconnue comme un départ forcé.
Dans une décision rendue le 2 octobre 2024, le Tribunal de la sécurité sociale du Canada a tranché en faveur d’une ex-adjointe juridique du cabinet d’avocats Bélanger Sauvé à Trois-Rivières.
L’adjointe juridique a obtenu que sa démission ne l’empêche pas d’être admissible à l’assurance-emploi.
Une première décision rendue en août 2024 par la Commission de l'assurance emploi du Canada avait refusé la demande de l’appelante, la laissant inadmissible à l’assurance-emploi après qu’elle ait démissionné de son emploi. En effet, la loi prévoit l’exclusion du bénéfice des prestations si le travailleur quitte volontairement son emploi sans justification.
En appel, le tribunal a reconnu que le départ volontaire de Nancy Dion, en février 2024, était justifié. Ce jugement lui ouvre l’accès aux prestations d’assurance-emploi qu’elle réclamait.
Conflit dans un cabinet d’avocats
Employée depuis 2017 de Gestion Belsé II - l’appellation enregistrée de Bélanger Sauvé -, Nancy Dion occupait plusieurs fonctions, notamment en réception et en facturation, au sein du bureau de Trois-Rivières, dont le coordonnateur est l’associé Me François Vigeant.
Or, au début de l’année 2024, une associée du cabinet, Me Kathleen Rouillard, aurait reproché à Nancy Dion d’avoir procrastiné dans la facturation. L’avocate suggère à ses collègues de lui enlever cette tâche.
L’adjointe juridique est alors blessée par les remarques. Elle souhaite des excuses pour ces reproches qu’elle considère non fondés. En effet, Nancy Dion assure que la facturation était achevée, et que les délais étaient respectés.
Me Kathleen Rouillard aurait alors demandé à Nancy Dion de prendre congé le vendredi 2 février et de revenir le mardi 6 février 2024. L’associée refuse toutefois d’initier une rencontre entre les parties pour régler le différend.
Dans le premier jugement, la Commission de l’assurance-emploi avait considéré que l’adjointe juridique aurait pu retourner au travail le 6 février 2024 - comme suggéré par l'associée du cabinet, avant de « poursuivre ses démarches d’emploi entamées et remettre sa démission au moment où elle aurait eu l’assurance raisonnable d’un nouvel emploi. » Nancy Dion aurait également pu demander à son employeur de la transférer au bureau de Joliette ou à celui de Montréal. Enfin, la commission avançait que l’appelante aurait pu se présenter à un rendez-vous médical pour obtenir un certificat de maladie.
Mais Nancy Dion affirme que son employeur l'a incité à partir et qu'elle avait une assurance raisonnable de trouver un nouvel emploi. Elle indique même qu'elle souhaitait retourner au travail dès le 2 février. Or, l’associée Me Kathleen Rouillard lui aurait signifié par téléphone qu’« elle doit revenir le mardi (6) février ou pas du tout » (ndlr: le jugement mentionne le mardi 4 février, mais il s’agit manifestement d’une erreur).
Or, Nancy Dion avait déjà pris rendez-vous avec son médecin et elle avait déjà postulé à un nouvel emploi, précise le jugement.
En appel, Jacques Bouchard, membre du Tribunal de la sécurité sociale du Canada, a reconnu que la démission de l'adjointe juridique était fondée, c’est-à-dire qu’il s’agissait de « la seule solution raisonnable, compte-tenu de toutes les circonstances ».
En effet, l'employeur a refusé d'organiser une rencontre demandée par l'appelante. Il lui a plutôt accordé un congé de quelques jours pour qu'elle reprenne ses esprits.
Alors qu'elle souhaitait revenir au travail plutôt, sa demande a été refusée. « L’appelante explique en audience qu’elle avait annoncé sur les réseaux sociaux qu’elle était disponible pour travailler et qu’elle offrait ses services. L’appelante précise que cela a incommodé son employeur et explique en partie son refus à ce qu’elle retourne au travail plutôt », mentionne la décision.
« Pas d’autre solution raisonnable »
Face à l'attitude de son employeur, l'appelant a alors suggéré qu'elle allait prendre sa semaine en maladie. Elle avait déjà rendez-vous avec son médecin traitant.
« Me Rouillard lui aurait alors signifié: tu reviens le 6 février ou pas du tout », indique la décision. Le tribunal juge ces faits crédibles. « L’appelante a tenté de régler le différend avec le collègue de travail, mais rien n’a été initié par l’employeur en ce sens. Au contraire, plutôt que favoriser la réconciliation, l’employeur a préféré obliger l’appelante à prendre congé. »
Jacques Bouchard en déduit: « J’estime que l’appelante a fait tous les efforts raisonnables pour résoudre le conflit qu’elle avait avec le collègue en question, mais que l’employeur n’a offert aucune ouverture. Au contraire, la fermeture à toute tentative de l’appelante pour régler le différend s’apparente davantage à une incitation de l’employeur, pour que l’appelante quitte ses fonctions. »
Et il conclut « que l’appelante a agi comme toute personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation et qu’elle a tenté toutes les solutions raisonnables qui s’offraient à elle avant de quitter », considérant l’absence de collaboration de l’employeur dans le règlement du différend, et considérant l’assurance raisonnable de l’appelante d’obtenir un poste dans un délai très court. »
Le Tribunal de la sécurité sociale du Canada juge donc que « l’appelante n’avait pas d’autre solution raisonnable ».
Et comme « l’appelante a épuisé toutes les possibilités de réconciliation, que toutes les solutions proposées ont été ignorées ou refusées par l’employeur », le départ était la seule solution raisonnable à ce moment-là.
« À ma connaissance, cette demande en appel ne nous a jamais été transmise et, parlant pour moi-même à tout le moins, je n'ai pas la moindre idée de la preuve présentée devant le Tribunal de la sécurité sociale », nous a répondu Me François Vigeant, à la suite de notre demande de commentaires sur ce jugement.