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Des juges sans constables spéciaux

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Marie-ève Buisson

2023-05-24 15:00:00

La pénurie de constables spéciaux dans les palais de justice cause des bris des services dans les salles d’audience où il n’y a plus de gardes pour assurer la sécurité du personnel.
Franck Perales, président du Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec (SCSGQ). Source: LinkedIn
Franck Perales, président du Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec (SCSGQ). Source: LinkedIn
Depuis plusieurs années, il existe une pénurie de constables spéciaux dans les palais de justice au Québec.

« Il y a de plus en plus de constables qui réorientent leur carrière et qui quittent avec beaucoup d’amertume et de regrets. Nous sommes dans une véritable hémorragie au niveau de la perte de personnel », mentionne Franck Perales, président du Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec (SCSGQ).

Ce manque de personnel cause des bris de service dans les palais de justice où il manque des constables spéciaux pour assurer la sécurité du personnel et des citoyens. Pour cette raison, plusieurs juges choisissent de fermer les salles d’audience ou de reporter certaines causes.

Selon le président du syndicat, il n’est pas rare de voir devant les portes des salles d’audience des feuilles où il est écrit: « Désolé, cette salle est fermée pour manque de constables spéciaux ».

Le 8 mai dernier, un incident se serait produit en fin de journée au Palais de justice de Trois-Rivières. Voyant une potentielle désorganisation d’une des parties, la juge Danye Daigle aurait appuyé sur le bouton « panique » pour faire venir des constables… Sans succès.

Dans une lettre adressée à la Direction de la sécurité dans les palais de justice et que Droit-Inc a pu consulter, la juge dénonce cette situation.

« Je m’interroge à savoir pourquoi aucun constable spécial ne s’est présenté ? Si une autre situation similaire devait se produire, devrais-je appuyer sur le “ bouton rouge ”? J’entretiens un questionnement quant à l’efficacité des moyens qui sont mis à notre disposition en salle d’audience. Y a-t-il une autre marche à suivre? ».

Conditions de travail

Pour l’année 2018-2019, 9,6 % des postes étaient vacants avec un taux de roulement de plus de 12,8 %. Pour l’année 2019-2020, 17,3 % des postes étaient vacants avec un taux de roulement de 10,4 %. Ces informations proviennent d’une compilation de dossiers réalisée par le ministère de la Sécurité publique suivant une demande faite en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Selon M. Perales, il y a plus de 200 départs au Québec depuis 2018, « ce qui est énorme, considérant le fait que nous sommes 350 membres au Québec ». Au palais de justice de Montréal, cette pénurie se fait davantage sentir avec la perte de plus de 40 % de leur personnel depuis 2018.

Depuis le début de l’année, le palais de justice de Montréal a engagé 12 nouveaux constables et a enregistré plus de 11 départs.

« Ce qui est surprenant, c’est qu’on engage beaucoup de constables spéciaux. Mais ils ne restent pas longtemps, probablement à cause des conditions de travail et du salaire », croit Franck Perales.

Selon le président du syndicat, un constable spécial touche au maximum 59 000 $, après plus de huit ans de service comparativement à environ 80 000 $ à la STM.

« Au Canada et au Québec, nous sommes les agents de la paix les moins bien payés. Récemment, le SPVM et la STM ont annoncé qu’ils allaient engager plus de 60 constables spéciaux. On a sincèrement peur que nos membres choisissent de les rejoindre », ajoute-t-il.

En plus de l’écart salarial assez important, des constables spéciaux considèrent selon lui qu’ils ont de mauvaises conditions de travail.

« Ils ont augmenté notre charge de travail. Déjà qu’on en a plein les bras et qu’on manque de personnel, on nous demande maintenant de s’occuper des détenus qui sont incarcérés dans les palais de justice. On n’a pas la formation ni les locaux adéquats pour faire ça ! », ajoute Franck Perales.

Cette pénurie de personnel est inquiétante pour tous les membres du syndicat. « Notre mission est d’assurer la sécurité des citoyens et du personnel qui travaille dans les palais de justice. Pour que je puisse m’en assurer, il faut que j’aie les moyens en effectif pour le faire », soutient-il.

Le SCSGQ se retrouve depuis 38 mois sans convention collective. De plus, selon le président, les membres n’ont pas le droit de faire de grève ou de ralentissement de travail. « On a l’impression que le gouvernement ne veut pas négocier de bonne foi avec nous. L’hémorragie se poursuit ».

Sonia Lebel. Source: Radio-Canada
Sonia Lebel. Source: Radio-Canada
« Négociation de bonne foi »

Le 4 mai dernier, à l’Assemblée nationale, la ministre Sonia Lebel a pour sa part fait la déclaration suivante :

« On était en négociation de bonne foi avec les constables spéciaux jusqu’au moment où ils décident d’aller en arbitrage. (...) Alors, on suit la procédure qui nous est présentement imposée par le Syndicat des constables spéciaux. (...) Maintenant, on prend la cadence qui nous est imposée par le Syndicat ».

Selon l’avocat du syndicat, Me Jean-Luc Dufour de chez Poudrier Bradet, plusieurs propos tenus par la ministre seraient erronés, surtout ce qui a trait « à la cadence supposément imposée par le Syndicat ». Ainsi, « plus de 90 % des dates proposées par l’arbitre ont été systématiquement refusées par la partie patronale », selon lui.

« On a de la difficulté à avoir des rencontres de négociation. On n’a pas de convention collective depuis 38 mois, on n’a pas eu d’augmentation salariale depuis 2019… Ce que la ministre a dit était de trop, c’était la cerise sur le sundae. C’est pourquoi on lui a envoyé une mise en demeure », explique le président du syndicat.

Me Jean-Luc Dufour. Source: Poudrier Bradet
Me Jean-Luc Dufour. Source: Poudrier Bradet
Dans la mise en demeure à laquelle Droit-Inc a eu accès, il est demandé à la ministre Lebel de convier ses représentants et son procureur à fournir une plus grande disponibilité pour que les séances d’arbitrage de différends en cours se déroulent selon un calendrier plus efficient et de corriger les propos tenus à l’Assemblée nationale, le 4 mai dernier.

Contacté par Droit-Inc, le cabinet de la ministre Lebel n’a pas souhaité faire de commentaires à ce sujet. Il confirme toutefois avoir des ententes avec près de 90 % des agents de la paix de la province. « Il reste à conclure des ententes avec les constables spéciaux et les gardes du corps ».
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2 commentaires
  1. ab
    Incroyable!
    C'est incompréhensible!

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a un an
      Au contraire, tout va dans le sens de la réduction de coûts
      Il serait même possible d'éliminer tous les constables spéciaux, sans risque pour la sécurité des juges et du personnel, en revenant aux salles d'audience des tribunaux pénaux anglais des siècles passés (i.e. un perchoir situé à 10 pieds au dessus du plancher).

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