Des réalités accablantes en psychiatrie légale
Nadia Agamawy
2024-03-07 15:00:57
Un avocat spécialisé en psychiatrie légale nous expose une réalité troublante, méconnue par beaucoup, mais vécue par bon nombre de ses clients…
Tout d’abord, il convient peut-être de souligner que l’intention initiale de cet article était de simplement fournir un aperçu du travail des avocats spécialisés en psychiatrie légale.
Cependant, ce qui nous a été révélé sont des conditions épouvantables auxquelles les clients de l’avocat sont confrontés. Et une course contre-la-montre pour l’ensemble des avocats travaillant dans ce domaine.
« Si vous me demandez ce qui me marque personnellement, c’est de voir mes clients à qui on impose ces conditions-là pour de très longues périodes, sans qu’il n’y ait aucune remise en question fondamentale », confie Me Patrick Martin-Ménard.
La psychiatrie légale est tout ce qui touche aux droits des patients en psychiatrie.
L’hôpital s’adresse à la cour dans deux situations :
- Dans le contexte d’une demande de garde en établissement pour détenir une personne à l’hôpital contre son gré s’il considère que l’état mental d’une personne présente un danger pour elle-même ou pour autrui;
- Dans le contexte d’une demande d’autorisation judiciaire de soins pour traiter une personne contre son gré, s’il considère que la personne est inapte à consentir et qu’elle refuse catégoriquement un traitement que l’hôpital considère nécessaire et indiqué dans l’intérêt de la personne.
C’est à ce stade qu’un avocat, tel que Me Ménard, est sollicité par une personne qui conteste sa garde en établissement ou l’administration de soins contre son gré.
Course contre le temps
« Dans des procédures comme celles-ci, on part un peu avec deux prises contre nous », relève Me Ménard.
Contrairement aux procédures de responsabilité civile où chaque parti dispose du temps nécessaire pour évaluer le dossier et préparer minutieusement sa défense, celles en psychiatrie légale sont souvent à très courte échéance. « On est souvent à quelques jours de délai dans le contexte de la garde en établissement, et à quelques semaines près dans le contexte de l’ordonnance des soins ».
Dans le cadre des ordonnances de soins, il s’agit d’une confrontation de preuves. Alors, les avocats se hâtent pour consulter le dossier médical du client et pour trouver un avis d’expert afin de constituer un dossier solide.
Et c’est à ce moment que survient le deuxième défi. « On est confronté à un hôpital qui a beaucoup plus de ressources pour monter un dossier, souvent déjà préparé à l’avance au moment où leur demande à la Cour a été déposée. Mais l’hôpital a aussi une grande facilité à avoir accès à des professionnels de la santé, alors que pour nous en défense, c’est extrêmement difficile de trouver des experts qui veulent agir pour les clients », explique Me Ménard.
« Pour le bien du patient »
Loin de remettre en question la bonne foi des psychiatres qui demandent de telles procédures, l’avocat explique que dans de nombreux cas, celles-ci portent gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne, notamment à son intégrité physique ou psychologique, à son droit à l’inviolabilité ou encore à son autodétermination.
« Il y a des situations où en voulant bien faire à l’endroit du patient, en bout de ligne, on en vient à adopter des mesures qui risquent d’avoir des effets extrêmement contraignants et difficiles à vivre, voire traumatisants pour le patient. », souligne Me Ménard.
« Alors, nous, on s’assure que les conclusions faites par l’hôpital ne sont pas trop larges ou injustifiées », poursuit l’avocat.
Des mesures « draconiennes »
Comme évoqué précédemment, en l’absence de consentement, la loi exige que l’établissement de santé fasse appel à la Cour pour obtenir l’autorisation pour l’une des deux procédures. Pourtant, selon Me Ménard, cette exigence n’est pas toujours observée.
« Je suis confronté à des personnes à qui on impose des mesures d’isolement et de contention absolument draconiennes et à mon sens illégales, et qui sont souvent maintenues pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, voire dans certains cas, au-delà d’un an », rapporte Me Ménard.
« Et dans certains cas, l’hôpital ne s’était ni adressé à la Cour ni avait le consentement de la personne ou de son représentant ».
En ce qui concerne la façon dont ces mesures se manifestent concrètement, Me Ménard révèle des conditions extrêmes. « Dans le contexte de ces mesures-là, il y a des personnes qu’on garde dans leur chambre à longueur de la journée. Lorsqu’on les laisse sortir, on les menotte pieds et mains à une chaise. Et elles passent leur temps en dehors de la chambre, menottées à la chaise, avant de les ramener dans leur chambre », déplore Me Ménard.
Dans le même souffle, il mentionne un cas récent d’un patient qui a été maintenu dans de telles conditions de manière illégale pendant sept mois et demi.
En juillet 2023, la personne en question a été soumise à des mesures de contrôle planifiées, malgré son refus catégorique et sans l’autorisation d’un tribunal jusqu’à la mi-février.
L’hôpital a déposé une demande d’autorisation judiciaire de soins en novembre. Celle-ci a été entendue en janvier et le tribunal, à ce moment, a accueilli la demande concernant la médication, leur permettant de donner une médication au patient contre son gré, mais a rejeté la conclusion concernant les mesures de contrôle planifiées. Par la suite, l’hôpital a déposé une demande de révision concernant uniquement les mesures de contrôle, et celle-ci a finalement été accueillie le 14 février dernier.
Stigmatisation persistante
L'avocat explique que ses clients en psychiatrie sont souvent victimes de préjugés et font face à une stigmatisation persistante, tant au sein de la société qu'au niveau de certains intervenants.
De plus, Me Ménard remarque une « tendance à surestimer la dangerosité des personnes aux prises avec un problème de santé mentale, alors que statistiquement, le taux de crime violent chez cette population est moins élevé que chez la population générale ».
En effet, les données statistiques indiquent que les individus souffrant de troubles mentaux sont plus susceptibles d'être victimes de violence et de faire l'objet de marginalisation sociale et économique.
Selon Me Ménard, cette exagération injustifiée du danger entraînerait un cycle néfaste puisqu’il voit « de plus en plus de demandes de garde et d’ordonnance de soins où on veut toujours imposer des cadres toujours plus contraignants ».
De par son expérience, l’avocat explique que ces solutions simplistes, devenues de plus en plus courantes, ne parviennent pas à résoudre le problème sous-jacent.
« Je pense qu’il y a un changement d’approche à avoir en psychiatrie légale pour que la contrainte ne soit plus l’approche par défaut dans ce système », soutient Me Ménard.
Enfin, les affaires portées à l'attention de Me Ménard ne représentent qu'une fraction des demandes de représentation reçues, car son cabinet n'est en mesure d'accepter qu'une proportion limitée de ces demandes.