Entretien avec l’avocat d’Éric Lapointe
Florence Tison
2020-02-07 15:00:00
Me Turcot s’en charge depuis 17 ans.
« Je suis d’avis que toutes les causes méritent notre attention totale, complète et sincère », confie Me Turcot, associé chez Battista Turcot Israel Corbo.
« On défend une personne et non le crime qu’elle aurait soi-disant commis, poursuit le criminaliste de 41 ans. C’est différent, et au final, c’est tout aussi important de défendre pleinement et entièrement des gens, qui qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. »
Dans l’imaginaire collectif, la défense au criminel est souvent associée au grand méchant terrifiant menotté dans sa cage de verre. La réalité est loin d’être aussi manichéenne, selon Jacklin Turcot.
« Je vous dirais que les crottés se font plutôt rares, malgré ce qu’on en pense », estime l’avocat.
« On a très souvent affaire à des gens qui n’ont jamais été accusés dans le passé. Des gens pour lesquels les enjeux sont potentiellement très lourds, et pour lesquels les conséquences d’une condamnation peuvent être terribles tant au niveau professionnel que personnel. »
Défendre la personne et non le crime
La semaine dernière, Jacklin Turcot s’est retrouvé malgré lui dans une tempête médiatique liée à la cause d’Éric Lapointe, accusé de violence envers une ex-conjointe, et défendu par Me Turcot lui-même.
Devant les journalistes, l’avocat a candidement indiqué chercher des alternatives au procès. De telles solutions passent par la communication avec l’autre partie. Un juge a cependant interdit à Éric Lapointe de communiquer avec son ex-conjointe, de même que de se trouver à moins de 100 mètres d’elle.
« Je suis d’avis que, dans la vie, la résolution de conflits passe par la communication, mais bon, depuis le jour un, on a interdit à M. Lapointe de communiquer avec la plaignante, il respecte ces conditions », a confié l'avocat aux journalistes, une citation reprise dans tous les médias.
Dans un contexte de violence conjugale alléguée, l’idée qu’un accusé puisse communiquer avec sa victime potentielle ne passe pas. Dans un contexte judiciaire, les avocats de la Couronne et de la défense travaillent ensemble.
« Évidemment, nous sommes des parties adverses! admet Me Turcot. Mais il y a une très belle collégialité entre les avocats de la défense et la avocats de la Couronne, qui fait en sorte qu’on est capable d’arriver à des résultats qui sont satisfaisants pour tout le monde. »
« Ce n’est pas pour rien que la majorité des dossiers se règlent, poursuit l’avocat. On y arrive à force de se parler, de négocier et de voir à ce que les intérêts de tout le monde soient protégés. »
Jacklin Turcot ne parlera pas ici d’Éric Lapointe. L’affaire est encore devant les tribunaux, et le chanteur reviendra en cour le 10 mars pour déterminer la date du procès. Ce qu’on peut en dire a été rapporté par La Presse la semaine dernière :
« C’est un passage difficile. On espère que tout le monde puisse éventuellement être satisfait des démarches judiciaires et qu’ils arriveront à être sereins par rapport à cet incident-là. Cela dit, ce n’est pas facile pour M. Lapointe. Je suppose que ce n’est pas facile pour madame non plus. Il n’y a rien de drôle là-dedans. »
À Droit-inc, Jacklin Turcot parle de présomption d’innocence, et de ce que c’est, de défendre l’accusé au criminel. Celui qui, lui aussi, a besoin d’aide et d’accompagnement.
« Je suis sincèrement convaincu qu’il n’y a aucun souci à défendre un coupable qui vient de commettre un crime terrible pour la 6e fois, si ce n’est qu’on ne le fait pas nécessairement pour défendre l’idée qu’une personne commette des crimes dans la vie de façon répétée. Ce n’est pas ça qu’on défend, au final. »
Les jeunes années d’un avocat idéaliste
Diplômé en droit en 2001 à Sherbrooke, Barreau en 2003, Jacklin Turcot n’a toujours rêvé que de droit criminel, et à la défense, s’il vous plaît. « Je ne voyais que ça dans ma soupe! »
Lors de son stage à la Commission québécoise des libérations conditionnelles à Québec, il travaille la semaine et entraîne l’équipe élite de ski acrobatique du Mont Sainte-Anne la fin de semaine. Jacklin Turcot est lui-même un ancien athlète de compétition en bosses, sélectionné dans l’équipe du Canada à 17 ans.
Après un passage à l’Aide juridique, il fonde son propre cabinet où il tente de « défendre la veuve et l’orphelin ».
« Tu sais, l’avocat qui n’a pas les moyens d’avoir un ''suit'' autre que celui en tweed que son père lui a donné? rigole le criminaliste. Je pense encore de même, mais mon histoire aura été différente. »
Si la veuve et l'orphelin doivent être défendus, les autres ont besoin de se faire défendre aussi. C’est ce à quoi Jacklin Turcot consacre sa carrière.
« Je crois en la présomption d’innocence autant qu’en la réhabilitation des personnes ayant fait fausse route et ce sont là deux principes fondamentaux, de plus en plus négligés de nos jours, que nous devons tous protéger et promouvoir. »
« Ça vient avec le rôle que nous assumons que de défendre le vilain, et d'ailleurs si on ne le fait pas, personne ne va le faire! »