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Il faut « normaliser » le français au tribunal, selon un juge

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Radio-canada Et Cbc

2024-10-21 12:00:29

Glenn Joyal. Source: Radio-Canada / Gavin Boutroy
Glenn Joyal. Source: Radio-Canada / Gavin Boutroy
En entrevue, un juge en chef croit qu’il faut normaliser l’utilisation du français dans tout le système judiciaire…

En entrevue avec Radio-Canada, le juge en chef de la Cour du Banc du Roi, Glenn Joyal, affirme qu’il faut « normaliser » l’utilisation du français dans tout l’appareil judiciaire. C’est, pour lui, un plus grand défi que la nomination de juges bilingues.

Comment voyez-vous le rôle du français en ce moment dans le système des tribunaux au Manitoba?

Le français, c'est l'une des langues officielles au Canada. C'est une langue qui est évidemment protégée constitutionnellement parlant au Canada. Le droit existe. À la Cour du Banc du Roi, nous sommes très attentifs à nos obligations constitutionnelles, surtout dans le sens que cette obligation-là touche aussi à une aspiration plus large à propos de laquelle on est toujours conscient à la Cour : l’accès à la justice.

Les deux choses sont inextricablement liées, les droits linguistiques et cet idéal d’accès à la justice. C’est un rôle fondamental et je pense qu'il faut sensibiliser les gens à propos de ces droits-là et de la disponibilité de ces services.

Les juristes francophones font état de préoccupations autour du nombre de juges qui comprennent le français. Est-ce que la cour dont vous êtes le juge en chef manque de juges bilingues?

Je questionne cette prémisse-là. Je ne vais jamais dire qu'on ne peut pas avoir plus de juges bilingues. Pour maximiser justement les sortes de services dont je parlais tantôt et pour justement réaliser nos obligations constitutionnelles, il faut avoir une capacité en français. Je ne vais jamais dire au ministre de la Justice (NDLR, du gouvernement fédéral, responsable de nommer les juges de cette cour) qu’on ne veut pas de bons candidats ou candidates bilingues.

Mais, en même temps, je ne veux pas céder cette prémisse-là dans le sens qu’on a déjà cinq personnes à la Cour qui sont capables de siéger en français. J’entends souvent qu'on n'a pas de juges bilingues pour siéger, soit dans la division civile, la division générale ou dans la division de la famille. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ça.

L'année dernière, on avait juste un procès en français, plusieurs requêtes, mais elles étaient toutes couvertes par un de nos cinq juges. Est-ce qu'on peut avoir d'autres juges bilingues? Absolument, mais il n’y a pas une crise dans la division de la famille parce qu'on n'a pas de juges bilingues.

Ce n’est pas la peine de combler (remplir) la cour avec des juges bilingues qui ne sont pas suffisamment expérimentés dans un certain domaine.

Le nombre d’affectations d'interprétation juridique a augmenté au fil des cinq dernières années au Manitoba. Est-ce que ce n’est pas là un symptôme qu’il n’y a pas suffisamment de juges qui sont capables de siéger en français?

Les défis principaux pour nous, ce sont les suivants : d'abord, il faut normaliser les services en français qu'on offre. C'est là où se trouvent les problèmes. Ce n’est pas le nombre de juges bilingues qu’on a. Au contraire, on en a cinq et il n’y a jamais de pénurie de ces gens-là.

Le problème, c'est la façon dont on fonctionne. Est-ce que c'est suffisamment normalisé? Est-ce que c'est aussi automatique et réflexif? Et c'est ça, le problème.

Ce n’est pas tout simplement une question des juges, ou des disponibilités des juges bilingues. C'est plutôt des fois une question des gens qui travaillent au registre du greffe où se trouvent des gens qui sont uniquement anglophones.

Si ces gens-là ne peuvent pas accepter les documents qui sont déposés en français, on a déjà un problème. On a des gens qui ont ces capacités, mais moi, je dirais qu’il n’y en a pas assez.

L'autre problème, c'est qu’on a un processus qui n'est pas suffisamment prévisible et défini. C'est parfois difficile pour les avocats de savoir exactement ce qu'il faut faire dans certaines circonstances, par exemple dans le cas d'une requête d'urgence ou d’une injonction.

Si quelqu'un veut déposer un document pour précipiter l'audience pour une injonction, ce n’est pas toujours clair pour les avocats ou les avocates ce qu’ils devraient faire. Ça, c'est un problème.

Parlons du réaménagement du palais de justice de Saint-Boniface. Où est-ce qu'on en est maintenant?

C'est compliqué parce que moi, je ne trouve pas l'espace acceptable. Il y a deux sujets principaux pour nous dans un groupe de travail [à ce sujet] : le palais de justice et les services qui y sont offerts. Je pense que ces services-là se sont beaucoup améliorés, mais ça se passe dans un contexte qui n’est pas idéal.

On lutte pour quelque chose de plus acceptable. On a un nouveau gouvernement, on va continuer nos efforts. On a fait ces efforts la dernière fois avec le gouvernement conservateur. Qu’est-ce qu’on peut faire, on est juste des acteurs dans le système.

Vous, qu’est-ce que vous entendez dire à ce sujet?

Certains acteurs dans la communauté pensent qu'il devrait y avoir une espèce de centre francophone de services juridiques situé à cet endroit, qui rassemble toutes les ressources.

Je suis d'accord.

Mais il y en a d'autres qui disent aussi que, si on fait ça, on va enlever les services en français qui sont offerts ailleurs dans le système judiciaire. Il faut essayer d'équilibrer un peu ces deux exigences. Je pense qu'il y a un certain débat là-dessus en ce moment.

C'est bien sage de parler de cet équilibre, mais, en même temps, il faut une masse critique à Saint-Boniface. Autrement, le momentum ou l'énergie, l'animation va être perdue. Cependant, il faut garder les services qui sont offerts ailleurs.

Comment vous sentez-vous par rapport à la relève d'avocats francophones?

Fier. C’est important parce que l’un des défis qui nous frappent, c'est justement de sensibiliser les gens à propos de leur droit d'utiliser le français dans les procédures judiciaires. Et je pense que la seule façon de le faire, c'est d'avoir aussi une disponibilité des avocats et des avocates.

C’est un service qui va être bien réalisé avec ce qu'ils font à l'Université du Manitoba, mais c'est aussi un effort fait par des groupes comme l’Association des juristes d’expression française et dans la magistrature. On a des juges qui suivent des cours en français. Ça, c'est une espèce de relève.

Alors, je suis optimiste, je reste optimiste malgré les lacunes importantes que j’ai mentionnées.

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