Il n’y a pas eu de procès secret au Québec, tranche la Cour suprême
Radio-canada Et Cbc
2024-06-07 11:15:49
La Cour d'appel du Québec a erré en évoquant un « procès secret », selon le plus haut tribunal du pays...
Dans une décision unanime, les neuf juges de la Cour suprême du Canada déclarent que le procès d'un informateur de police tenu entièrement à huis clos au Québec n'était pas un « procès secret » et reprochent à la Cour d'appel du Québec d'avoir alimenté la controverse en utilisant cette expression.
Pour les magistrats, il est clair que l'accusé dans cette affaire n’a pas été déclaré coupable au terme d’une instance criminelle secrète
. Le concept de procès secret n'existe tout simplement pas au Canada, ont tranché les magistrats.
La notion même de procès secret n’existe pas au Canada, et toute comparaison d’audiences tenues à huis clos total à un procès secret est erronée.
Extrait du jugement de la Cour suprême du Canada.
En plus d’être imprécise, cette expression est indûment alarmante et ne trouve pas assise en droit canadien
, ajoute-t-on.
Le plus haut tribunal du pays – qui avait été saisi l'an dernier par le procureur général du Québec et un consortium de médias sur la légalité de ces procédures – renvoie le dossier à la Cour d'appel du Québec pour qu’elle rende publique une version caviardée du jugement du tribunal de première instance, en accord avec les parties impliquées.
La Cour d'appel montrée du doigt
Selon les juges, la controverse publique entourant la tenue de ce procès à huis clos qui visait, rappelle-t-on, à protéger les droits de l'informateur aurait pu être évitée si la Cour d'appel du Québec s'était gardée de qualifier les procédures de « procès secret ». Ce qui n'était pas le cas, martèle le jugement.
La Cour d'appel du Québec a aussi commis une erreur
, selon les juges, en prenant la décision de maintenir le scellé complet qui entourait l'ensemble des procédures.
L’ampleur de la controverse aurait [...] pu être limitée si la Cour d’appel n’avait pas eu recours à l’expression "procès secret" pour décrire ce qui était, dans les faits, un huis clos survenu dans une instance s’étant amorcée et ayant initialement cheminé publiquement.
Extrait du jugement
Le tribunal de première instance a aussi sa part de responsabilité. Avant toute chose, celle-ci [la controverse] aurait pu être prévenue si le premier juge avait mis en œuvre le huis clos en créant une instance parallèle entièrement dissociée de l’instance criminelle dans laquelle "Personne désignée" comparaissait jusqu’alors publiquement
, estiment les magistrats.
L’instance criminelle [visant l'accusé] s’est amorcée et a cheminé publiquement jusqu’au moment où la personne a déposé une requête en arrêt des procédures.
Extrait du jugement.
Retour sur les événements
Cette affaire, révélée à l'origine par La Presse en mars 2022, avait fait grand bruit à l’époque. On apprenait qu'un accusé avait été jugé et condamné par un tribunal pour un crime inconnu dans un huis clos complet. L'affaire ne figurait pas au plumitif et le jugement rendu n'avait pas de numéro d'identification. Ce qui en principe est contraire au concept de transparence de la justice.
Le but de tenir ce procès à huis clos était de préserver l’identité de l’accusé qui était un informateur de police. Bien qu’il bénéficie d’une certaine immunité dans le cadre de ses activités, les policiers auraient découvert lors de l'enquête qu'il aurait commis un crime.
On a alors décidé de le juger à huis clos pour ce crime dont il a été reconnu coupable et condamné.
L'accusé ayant contesté le verdict de culpabilité prononcé contre lui en invoquant un abus de procédures, la Cour d'appel avait été saisie de l'affaire. Le tribunal avait alors prononcé un arrêt des procédures – entraînant l’acquittement de l'accusé – tout en maintenant l'ordonnance de confidentialité qui entoure le dossier.
Impossible donc de connaître le district judiciaire où s'est déroulé le procès, la nature du ou des crimes, les corps policiers impliqués, le nom des parties et même le nom du juge afin de préserver l’anonymat complet de l’accusé et de la cause.
Toute cette affaire dont il n’existe aucune trace publique serait passée complètement sous le radar si ce n’avait été de cet appel.
« Procès secret »
Dans leur décision du 28 février 2022, les juges de la Cour d'appel, Marie-France Bich, Martin Vauclair et Patrick Healy s'étaient montrés très critiques envers ce procédé qu'ils avaient qualifié de procès secret
.
Ils estimaient que ce procès à huis clos contrevenait au principe du système de justice public.
La Cour constatait aussi qu' aucun numéro formel ne figure sur le jugement étoffé du juge du procès
, que les témoins ont été interrogés hors de cour
et que, en somme, aucune trace de ce procès n'existe, sauf dans la mémoire des personnes impliquées
.
La Cour est d'avis que si des procès doivent protéger certains renseignements qui y sont divulgués, une procédure aussi secrète que la présente est absolument contraire à un droit criminel moderne et respectueux des droits constitutionnels non seulement des accusés, mais également des médias, de même qu'incompatible avec les valeurs d'une démocratie libérale.
Le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, avait également fait part de ses réserves et demandé d'en apprendre plus sur ce « procès fantôme ».
Des avocats représentant la Cour du Québec et le procureur général du Québec avaient ensuite demandé à la Cour d'appel de dévoiler certaines informations relatives à ce dossier, mais sans succès.
Les avocats d'un regroupement de médias – dont La Presse, Radio-Canada, la Coopérative nationale de l'information indépendante, le Groupe TVA et MediaQMI –, qui ont aussi plaidé en faveur d'une levée partielle ou complète de cette ordonnance de confidentialité, ont également été déboutés.
L'affaire avait finalement été portée devant la Cour suprême par le gouvernement du Québec et le consortium des médias en décembre 2023.
En mars 2023, le plus haut tribunal du pays acceptait d'entendre la cause sans donner davantage de précision.