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Informatisation de la justice : trop peu de joueurs ?

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Jean-Francois Parent

2018-05-03 15:00:00

La forte concentration dans l’octroi des contrats publics informatiques au ministère la Justice inquiète...
La ministre de la Justice Stéphanie Vallée
La ministre de la Justice Stéphanie Vallée
L’annonce d’une « solution commerciale » pour aider à la réforme numérique du système de Justice fait craindre le pire aux observateurs.

Les investissements de 500 millions de dollars sur cinq ans annoncés par la ministre de la Justice Stéphanie Vallée pour moderniser l’administration de la justice risque de reproduire « le même film que celui de la Commission Charbonneau », soutient le président du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, Richard Perron.

Possible collusion, absence de concurrence, dépassement de coûts : les problèmes qui affligent l’adjudication des contrats informatiques au Québec sont pratiquement les mêmes que l’on retrouve dans la construction.

Une vaste coalition réclamait d’ailleurs une enquête publique sur la question en 2015. Trois ans plus tard, rien n’est fait et ce, « malgré qu’on ait porté plusieurs situations à l’attention de l’Unité permanente anticorruption », explique Richard Perron à Droit-inc.

Selon les données du Système électronique d’appels d’offres de Québec analysées par Droit-Inc., neuf des dix plus importants soumissionnaires du ministère de la Justice sont des sociétés oeuvrant dans le secteur numérique et informatique.

Dans un échange avec Droit-Inc., la ministre Vallée a expliqué que « les besoins identifiés et l'analyse de marché nous permettent d'envisager l'acquisition d'une solution commerciale générique, modulaire, adaptable et évolutive ».

Incontournable CGI

Le problème, c’est que l’essentiel des besoins informatiques et numériques du ministère de la Justice sont confiés aux bons soins d’un petit nombre de joueurs.

Des quelque 317 millions de dollars accordés par Justice Québec à 1 053 soumissionnaires entre l’été 2008 et l’hiver 2018, les dix plus importants soumissionnaires ont récolté la moitié, soit 147,5 millions de dollars de contrats.

Le plus important d’entre eux, CGI, a obtenu 46,4 millions, soit 15% du total, pendant les 10 années analysées.

Une situation dangereuse, selon Richard Perron. « On se départit de l’expertise interne en embauchant des consultants externes qui font et disent ce qu’ils veulent, et on n’a aucun moyen de contrôler ce qui se passe. »

Intérêts privés

Confier autant de mandats à des intérêts privés est contraire à l’intérêt public, poursuit l’avocat de formation. Il cite l’exemple d’une cause à laquelle il a assisté en Cour d’appel en mars dernier. « On se présente en audience pour se faire dire que parce que les ordinateurs ne fonctionnent, on ne pourra pas enregistrer les débats. Et on pousse l’audace de demander aux avocats s’ils veulent plaider sans enregistrement! C’est digne d’une république de bananes », tonne le président du SPGQ.

Le président du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, Richard Perron
Le président du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, Richard Perron
Richard Perron s’inquiète en outre que l’on veuille confier la gestion des données personnelles à des intérêt privés qui ne visent que le profit. « On parle quand même d’un pilier fondamental de la démocratie, dont l’administration est confiée à des sociétés sur lesquelles on a si peu de contrôle. »

D’autres syndicats s’indignent également : le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, la Centrale des syndicats du Québec, la Fédération interprofessionnelle…

Les mécanismes d’appel d’offres en informatique limitent la concurrence. Par exemple, la firme R3D, a remporté des soumissions totalisant 9,1 millions de dollars auprès du ministère de la Justice. Cette même firme a été pointée du doigt l’an dernier alors qu’elle avait été embauchée comme consultante par Revenu Québec pour un appel d’offres qu’elle a ensuite remporté.

En septembre dernier, R3D a obtenu, ministère de la Justice, un contrat de 5,7 millions de dollars pour du « Soutien à la gestion et conseil stratégique», selon le système électronique des appels d’offres du gouvernement du Québec.

Des contrôles

Stéphanie Vallée se veut rassurante. « Le projet est soumis à toutes les mesures de contrôle des grands projets prévus notamment dans la Loi renforçant la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement (PL 135, adopté par notre gouvernement en décembre 2017), notamment en regard des autorisations requises pour passer d'une étape à une autre dans la réalisation du dossier », écrit-elle dans sa correspondance avec Droit-inc.

Elle précise en outre que des vérificateurs externes au ministère de la Justice, provenant du Conseil du Trésor, du ministère des Finances et de l'externe, seront impliqués tout au long de la démarche de la transformation ».

Cela n’émeut guère Richard Perron. « On devrait plutôt investir ces sommes dans l’expertise interne. En embauchant des directeurs informatiques qui connaissent leurs besoins et les solutions appropriées. Quand même la CAQ, qui milite plutôt pour la privatisation, plaide également pour qu’on cesse de faire autant affaire avec le privé, c’est qu’il y a un problème! »
La ministre Vallée rétorque que « nous aurons besoin de toute l'expertise interne que nous détenons (…) Près d'une centaine de personnes seront activement impliquées dans la réalisation des travaux préparatoires menant à la mise en place de la solution technologique cible et nous estimons qu’une cinquantaine de personnes supplémentaires s'ajouteront ».

Elle conclut en expliquant que « nous opterons pour un partage des risques avec le fournisseur retenu, ce qui constitue une mesure supplémentaire de contrôle notamment des coûts et de l'échéancier du projet ».

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