La meilleure juge de l'histoire ?
Jean-francois Parent
2017-12-13 15:00:00
« C'est la juge de la Charte! » déclare la criminaliste Marie-Hélène Giroux, qui a plaidé une vingtaine de fois devant la juge McLachlin.
Sous sa présidence, la Cour suprême a rendu des décisions difficiles, comme celles portant sur le discours haineux ou le révisionnisme historique, où la juge McLachlin a insisté sur l'importance de la liberté d'expression.
Comme juge, « elle a inscrit des dissidences dans des jugements controversés », rappelle Claude Marseille, associé chez Blakes.
Ce dernier, qui a plaidé l'arrêt Foster Wheeler devant la juge McLachlin en 2004, insiste sur l'importance de cette décision « historique ». Elle a fait valoir que tout citoyen avait le droit à la confidentialité de ses communications avec son avocat, que c'était là un « principe fondamental », qu'il ne s'agissait pas juste d'une obligation professionnelle.
Ainsi, au début des années 1990, avec les arrêts Keegstra, portant sur le discours raciste d'un enseignant albertain, et Zundel, négationniste torontois d'origine allemande qui remettait en question l'holocauste, « elle n'a pas hésité à défendre la liberté d'expression dans un contexte très difficile », ajoute Me Marseille.
À l'autre bout du spectre politique, Beverley McLachlin a également été celle qui a déclaré que le traitement des autochtones canadiens depuis la Confédération n'était rien moins qu'un génocide culturel.
« Cela démontre qu'on ne peut pas la qualifier d'extrémiste », peu importe où l'on se trouve politiquement, estime Claude Marseille.
Autre grande décision à laquelle elle a pris part: l'arrêt Rodriguez sur le suicide assisté. Il lui permet de réitérer l'importance fondamentale du droit individuel d'un individu à décider lui-même de son sort sans ingérence de l'État.
La décision, avec dissidence, était rendue en 1993.
«Elle a amené la Cour au 21e siècle »
En 2015, une cause similaire revient devant la Cour, cette fois sur l’aide médicale à mourir. La décision des juges sur l’arrêt Carter est rendue à l'unanimité, alors qu'elle préside la Cour.
« C'est l'exemple qui illustre qu'elle a su amener un consensus autour d'une question fondamentale, et qu'elle a élevé la fonction au-dessus de la mêlée », analyse Emmett MacFarlane, politologue de l'Université Waterloo et spécialiste de la Cour suprême.
L'universitaire estime que le règne de la juge McLachlin aura été le plus important de toute l'histoire de la Cour suprême.
« Elle a littéralement amené la Cour au 21e siècle » dit-il. Et ce, tant sur le plan technique que juridique. « La cour est plus transparente, les juges sont plus accessibles, on diffuse les plaidoiries en direct, et elle n'a pas eu peur de défendre son institution », poursuit Emmett MacFarlane.
Quand la Cour suprême est attaquée par le premier ministre Harper et le ministre de la Justice d'alors, Peter McCay, qui l'accusent d'ingérence et d'activisme judiciaire, Beverley McLachlin n'hésite pas à défendre l'indépendance judiciaire publiquement. « Cela aurait été impensable il y a 20 ou 20 ans » poursuit le politologue, qui insiste sur l'époussetage que la juge en chef a fait subir à l'institution.
Il cite l'exemple de sa déclaration sur le « génocide culturel » que le Canada aurait fait subir aux autochtones, en 2015.
« Elle est sortie de son devoir de réserve, ce qui a été très controversé. On avait là une juge en chef qui se prononçait sur un sujet qui allait peut-être un jour aboutir devant son tribunal. C'était dangereux. »
Pour le président de l'Association canadienne des avocats criminalistes, William Trudell, il s'agissait plutôt d'une situation illustrant que les juges peuvent parfois descendre de leur tour d'ivoire. « C'est important dans un contexte où les affaires autochtones sont sur le devant de la scène », conclut-il.