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La présomption d’innocence

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Frédéric Bérard

2012-11-28 14:15:00

Cette semaine, Frédéric Bérard revient sur l'affaire du maire de Mascouche, Richard Marcotte, et sa destitution éventuelle envisagée par le gouvernement Marois.
Commission Charbonneau. UPAC. Montréal, Laval, Mascouche. Les maires des deux premières quittent. Celui de la troisième s’accroche. Grogne populaire. Bonnet blanc (Journal de Montréal) et blanc bonnet (La Presse) se mettent de la partie. Pressions classiques sur le gouvernement du Québec. Qu’attend ce dernier pour agir ? On réfléchit, de répliquer celui-ci par la voix de quelques ministres.

Pas une mauvaise chose. Surtout quand la vengeance populaire, alimentée par ses animateurs de type chroniqueurs d’influence, ne demande qu’à voir des têtes rouler. Celles des élus, bien sûr. Et celles des profiteurs repentis à la Zambito ? Voyons. Faisons leur plutôt une ovation debout à ''Tout le monde en parle''. Ils le méritent bien.

Le gouvernement envisagerait la destitution du maire, une solution drastique pour Frédéric Bérard
Le gouvernement envisagerait la destitution du maire, une solution drastique pour Frédéric Bérard
La réponse du gouvernement, maintenant. Les rumeurs laissaient envisager une solution des plus drastiques : destitution formelle de l’élu accusé au criminel. Sans solde. Wow!

Le temps de réflexion aura, selon toute vraisemblance, porté ses fruits, et c’est tant mieux. Ce qui devrait être le rouleau compresseur de la présomption d’innocence s’est en effet, et heureusement, transposé en instrument plus ''soft'', plus équitable, plus nuancé.

Dégommer Marcotte

La Loi permettant de relever provisoirement un élu municipal de ses fonctions, officieusement intitulée Loi afin de dégommer Richard Marcotte, présente en fait un mécanisme aux paramètres clairs où l’électeur de la municipalité visée pourra s’adresser directement à la Cour supérieure.

Il sera alors question de suspension provisoire et non de destitution. Déjà ça. D’accusations relatives aux fonctions de l’élu, pour lesquelles une peine de deux ans minimale est prévue, exit donc la peccadille de type Rob Ford. Enfin, on demandera au tribunal de statuer si l’incapacité provisoire de l’élu se justifie par l’intérêt public, celui-ci se mesurant particulièrement par la déconsidération, le cas échéant, de l’administration de la municipalité.

Alors le problème ? S’il existe, disons que celui-ci réside davantage dans le sous-entendu que dans les mesures proposées. Davantage dans l’intention que dans les gestes. La place qu’occupe actuellement, à même nos sociétés hyper-médiatisées, le statut de la présomption d’innocence. Le climat.

Débat en classe

Lors d’un débat en classe portant sur l’actuel sujet, une étudiante s’exclame : « mais monsieur, notre société a enterré la présomption d’innocence depuis longtemps ! » Bouche bée. Et si elle avait raison ?

Tous semblent, dans les faits, avoir déjà conclu à la culpabilité du maire de Mascouche. Le gouvernement du Québec. L’Assemblée nationale. Les médias, bien sûr. De dire le réputé Yves Boisvert dans une récente chronique : « la loi québécoise, qui permet à certains maires de rire de leurs citoyens, a besoin d'être revue - le gouvernement Marois propose d'ailleurs d'utiles changements.»

Suffit de lire entre les lignes pour y constater le syllogisme suivant : le maire de Mascouche, accusé au criminel, se fiche de la gueule de ses citoyens parce qu’il est nécessairement… coupable. Autrement, en quoi manquerait-il de respect à ses électeurs en demeurant en poste ?

Un job régulier

On me dira qu’un job de maire n’est pas un job régulier. Vrai. Qu’il implique un lien de confiance entre le détenteur de la charge publique et son électorat. Absolument. Que ce dernier n’a plus confiance au maire Marcotte. Fort probable. S’il se sait coupable, il va de soi que le maire se doit de démissionner. Au nom de la décence.

Mais s’il se savait innocent ? Oui, vous avez bien lu. Innocent. Cette possibilité est-elle de facto exclue ? La présomption de culpabilité aurait-elle remplacée celle d’innocence ? Que sous les conseils de son criminaliste, il ait décidé de conserver ses moyens de défense pour son procès et non pour La Presse ? Qu’après précisions et explications, le tribunal décide de l’acquitter des accusations pesant contre lui ? Et que s’il se sait innocent, pourquoi devrait-il démissionner en date d’aujourd’hui, soit avant la fin de son procès ?

Contrairement à Boisvert, j’ignore si Marcotte est coupable. J’ignore également s’il est innocent. Suis ni juge, ni juré. J’ignore les preuves contre lui. Ne les ai pas vues. Comme je me refuserais de suggérer à un chirurgien comment opérer, je m’abstiendrai également d’indiquer au tribunal comment juger.

D’en rajouter le ministre Gaudreault, responsable de la loi en devenir : « je ne crois pas qu’on remette en question la présomption d’innocence, parce que l’élu en question continuera de recevoir son salaire ».

Un concept plus riche

Je croyais, et surtout espérais, un concept un peu plus riche, sans mauvais jeu de mots. Plus nuancé. Que la présomption d’innocence tienne à autre chose qu’une simple considération pécuniaire. Que celle-ci puisse servir de rempart contre les erreurs policières, de bonne ou mauvaise foi. Idem pour celles des procureurs de la Couronne. Que l’affaire Coffin avait servi de leçon.

Qu’entend le ministre lorsqu’il requiert de la Cour supérieure le soin de déterminer si une administration municipale est « déconsidérée » du fait de simples accusations ? Quelle sera la preuve soumise ? La grogne des citoyens, poings en l’air, au conseil municipal ? Un reportage médiatique sur les louches rénovations apportées à la maison du maire par un entrepreneur prétendument de connivence ?

Il est évidemment facile de comprendre la nécessité d’assurer la saine gestion de l’administration publique, notamment municipale. L’objet de la loi est noble. Mais existe-t-il un lien rationnel entre ce même objectif et la mesure employée ? N’est-il pas évident que toute accusation criminelle en lien avec les fonctions de l’élu en viendra à déconsidérer l’administration municipale ? Ainsi, pourquoi ne pas avoir préféré le terme « administration paralysée », par exemple ? Déjà prévu afin de placer une municipalité sous tutelle, le concept de paralysie a au moins le mérite de viser le cœur du problème, soit celui d’une saine gestion publique.

Cirque ambiant

Et malgré le cirque ambiant relatif à l’affaire Marcotte, parait que le conseil municipal continue de siéger et de fournir les services de base aux citoyens, du moins selon La Presse. Optimale, comme situation ? Bien sûr que non. Mais combien de municipalités ont-elle vécu de telles situations, disons depuis les cinquante dernières années ? Une loi attaquant la présomption d’innocence pour le cas particulier d’un seul maire, dont la vie politique s’éteindra de toute manière aux prochaines élections ?

Dernière petite question, monsieur le ministre : pourquoi ne pas accorder à la volonté citoyenne le pouvoir d’entreprendre ce même type de recours contre les élus de l’Assemblée nationale ? C’est ça.


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