Le gouvernement fédéral poursuivi par 22 corps de police autochtones
Radio -canada
2023-11-01 13:15:00
Les avocats représentant l’Association des directeurs de police des Premières nations et Inuits du Québec (ADPPNIQ) sont Mes Benoît Amyot, Léonie Boutin et Audrey Poirier, tous de Cain Lamarre.
« Selon nos ententes avec Sécurité publique Canada, nous sommes censés offrir des services de base équivalents à ceux offerts à toute la population à travers le Québec et le Canada. Malheureusement, le financement et les conditions actuelles ne nous permettent pas d'atteindre ce niveau », a déclaré Shawn Dulude, président de l'ADPPNIQ.
Résultat : des policiers doivent patrouiller et intervenir en solo la nuit, alors qu'ils devraient être en duo, l'équipement policier utilisé est désuet, notamment des vestes pare-balles disponibles dans certaines communautés, et la question des salaires est soulignée parce qu'ils ne permettent pas de retenir les meilleures recrues.
« Il n'y a aucun syndicat policier qui tolérerait que ses agents portent des vestes pare-balles périmées en patrouille. Il y aurait des moyens de contestation assurément. C'est pourtant le cas dans certaines communautés. C'est cette option, ou tu ne portes rien pour ta protection. Pourquoi devons-nous avoir à accepter ça? », lance le chef Dulude en guise d'exemple.
« Dans un contexte où les corps policiers sont dans une course pour attirer les meilleures recrues afin de combler les départs à la retraite dans leurs rangs, nous n'avons aucun moyen financier pour offrir des salaires compétitifs face à des organisations policières qui ont beaucoup d'argent pour augmenter la diversité dans leurs rangs », ajoute le chef Dulude.
Selon les 22 chefs des corps policiers autochtones du Québec, le manque de services adéquats en sécurité publique a des conséquences aussi dévastatrices sur le développement et la santé publique des Premières Nations au Québec et au Canada. Il ne suffit que d'aborder les enjeux de violence conjugale ou d'alcoolisme dans certaines communautés.
« Le Tribunal vise à garantir que les droits de toutes les communautés autochtones soient respectés conformément aux obligations du gouvernement fédéral de fournir des services appropriés et adéquats pour répondre aux besoins des communautés autochtones », lance Shawn Dulude.
Manque d'effectifs policiers
L'Association des directeurs de police des Premières Nations et Inuits du Québec estime qu'il manque actuellement plus de 200 policiers à travers le Québec pour assurer un service de sécurité publique 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
On compte environ 400 agents de la paix, reconnus par la Loi sur la police, dans l'ensemble des 22 communautés des Premières Nations. Seize des 22 communautés financent elles-mêmes les ressources policières sans l'appui gouvernemental.
Visiblement, les chefs de police sont à bout de patience devant ce qu'ils jugent comme une inaction du fédéral.
« À ce propos, comme l’a rapporté le Protecteur du citoyen le 4 octobre dernier, il y a encore énormément de chemin à faire. Sur 13 recommandations énoncées en 2019 pour le secteur policier, seulement une seule a été complétée avec succès : la production d’un état de la situation; un autre rapport! », tonne M. Dulude.
Les services de police autochtones sont souvent critiqués et sous le feu des projecteurs en raison des activités de contrebande en armes à feu et en stupéfiants du crime organisé dans plusieurs de leurs territoires.
« La charge de travail élevée est traitée à vitesse réduite, ce qui offre aux criminels une longueur d’avance qu’on peine à rattraper. Sans surprise, leurs activités ne se limitent pas à nos communautés. Mes collègues, Raynald à Uashat ici présent, comme tous nos membres, ne demandent que ça, faire grandir leur équipe d’enquête pour enrayer les problèmes de stupéfiants », affirme Shawn Dulude.
L'Association des directeurs de police des Premières Nations et Inuits du Québec affirme que les enjeux soulevés ne concernent pas seulement le Québec, mais l'ensemble des territoires autochtones au Canada.
« Certaines communautés sont limitrophes avec les États-Unis et les provinces avoisinantes. On retrouve dans certaines autres d’importantes infrastructures comme des corridors aériens, des cours d’eau navigables et des voies ferrées dont elles sont responsables. Que se passe-t-il en cas de crise ici à Kahnawake, à Mashteuiatsh ou à Wemotaci, pour ne nommer que celles-ci? On attend la SQ? Combien pensez-vous que ça va coûter? Est-ce que la SQ est prête et, surtout, a la capacité pour nous supporter si on lance un signal d’alarme? », conclut Shawn Dulude.
Une promesse du gouvernement libéral
Durant la campagne électorale de 2019, le gouvernement libéral de Justin Trudeau avait promis d'encadrer le financement des corps policiers autochtones à travers le Canada. Il n'est pas uniforme selon la région et la province à travers le pays.
En 2020, le ministre de la Sécurité publique de l'époque, Bill Blair, avait affirmé que l’adoption d’une loi visant à faire de la police autochtone un service essentiel serait la marche à suivre pour en venir à la mise en place d’un cadre financier.
Mais force est d'admettre que la promesse se fait toujours attendre pour les chefs de police autochtones du Québec.
Rappelons que le programme de services de police des Premières Nations a été créé en 1991 pour financer des accords entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux ou territoriaux pour fournir des services de police à près de 60 % des communautés des Premières Nations et Inuit au pays.
Le gouvernement fédéral contribue à 52 % du financement du programme de services de police des Premières Nations. Les gouvernements provinciaux et territoriaux contribuent au reste.
Le ministère de la Sécurité publique au Québec n'a pas souhaité commenter le recours judiciaire de l'Association des directeurs de police des Premières Nations et Inuits du Québec, parce que le dossier sera débattu devant les tribunaux.
Quant au ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, il a aussi refusé de répondre aux questions de Radio-Canada, lors de son passage quotidien au foyer de la Chambre des communes, à Ottawa.