Le milieu juridique est-il passé à côté du #moiaussi ?
![Main image](https://gvm.nyc3.digitaloceanspaces.com/store/uploads/public/di/article/22114__avocates.jpg)
Jean-Francois Parent
2018-03-08 15:00:00
![La présidente du Jeune Barreau de Montréal, Me Sophia M. Rossi](https://gvm.nyc3.digitaloceanspaces.com/store/uploads/public/di/article/22114__Sophia_M_Rossi.jpg)
L'atmosphère feutrée des cabinets d'avocats n'est pourtant pas immunisée contre les gestes que plusieurs considèrent comme déplacés, et qui peuvent même constituer des actes criminels.
Et pourtant, il n'y a pas grand-chose qui percole, la vague n'ayant pas atteint le milieu juridique. On se rappelle que les accusations de viol et de harcèlement sexuel portées à l’encontre du producteur Harvey Weinstein, en octobre dernier ont déclenché une série de dénonciations portée par le mot dièse « metoo » ou « moiaussi ».
![L'avocat Marcel Aubut](https://gvm.nyc3.digitaloceanspaces.com/store/uploads/public/di/article/22114__Marcel_Aubut.jpg)
À tout le moins, quand une situation devient publique. Le cas Marcel Aubut est éloquent : dans les jours suivant les allégations le concernant, il a perdu ses mandats, sa pratique et ses clients.
Dénonciation difficile
![La juge à la retraite Nicole Gibeault](https://gvm.nyc3.digitaloceanspaces.com/store/uploads/public/di/article/22114__Nicole_Gibeault.jpg)
On ne veut pas stigmatiser des collègues, on minimise le problème, on a peur des représailles, on juge le mécanisme de dénonciation trop compliqué... Sophia Rossi observe que les raisons de ne pas dénoncer sont les mêmes dans tous les milieux de travail. Les cabinets n'y échappent pas.
« Peut-être faut-il faire plus pour faciliter la dénonciation », avance-t-elle.
La juge à la retraite Nicole Gibeault abonde dans le même sens. Même si « on est beaucoup moins frileux pour dénoncer depuis le mouvement #moiaussi », des progrès sont encore à faire pour mieux épauler les victimes présumées. Par contre, « est-ce que le système judiciaire est lourd pour gérer ça ? Absolument », dit-elle.
« Il est difficile de trouver une femme, en droit, qui n'a pas subi une forme ou une autre de sexisme », écrit la plaideuse ontarienne Kathryn Marshall dans une chronique du magazine juridique Precedent. « Mais le droit est un milieu discret. Les avocats sont formés à garder les choses sous le couvercle. Il serait donc étonnant qu'une vague de l'ampleur de celle qu'on a vue éclate dans le milieu. »
Le Barreau de l’Ontario à l’avant-garde
![La plaideuse ontarienne Kathryn Marshall](https://gvm.nyc3.digitaloceanspaces.com/store/uploads/public/di/article/22114__Kathryn_Marshall.jpg)
Les statistiques du Programme de conseil juridique en matière de discrimination et de harcèlement, financé par le Barreau de l'Ontario, sont éloquentes : bon an, mal an, près d'une dizaine de plaintes de harcèlement sexuel sont déposées contre des avocats par leurs collègues féminines ou masculines, mais pas seulement eux: l’ensemble de la population peut le faire.
Fonctionnant à la manière d'un ombudsman pour l'industrie juridique, le Programme publie des rapports semestriels où les problèmes courants sont détaillés.
Dans son plus récent rapport couvrant les six premiers mois de 2016, le Programme rapporte 11 plaintes de harcèlement sexuel contre des avocats, provenant de cinq avocates, trois avocats et trois stagiaires féminines.
Le Programme recense aussi 16 plaintes contre des avocats durant cette même période, provenant cette fois de non-juristes: 81% sont des plaignantes et la majorité rapporte des événements de harcèlement survenus au bureau de l’avocat.
Le Programme offre des services confidentiels de soutien et de médiation, puis fait un rapport au Barreau chaque année.
Rappeler les règles de conduite
![Gina Doucet, grande patronne de Cain Lamarre](https://gvm.nyc3.digitaloceanspaces.com/store/uploads/public/di/article/22114__Gina_Doucet.jpg)
Dans la foulée des dénonciations, on a précisé ce qu'il fallait faire— et ne pas faire.
Se félicitant de ce que le cabinet n'ait pas eu à gérer de telles situations, Me Doucet a cependant estimé qu'il fallait être clairs. « On a rappelé les règles de conduite, on a insisté sur ce qu'il faut faire non seulement si on subit (du harcèlement) mais également si on en est témoin », relate l'associée-directrice de Cain Lamarre.
Pour elle, il était important de souligner que l'on peut dénoncer un comportement sans crainte de représailles, et que le cabinet prendrait très au sérieux toute situation problématique et qu'on allait soutenir les démarches pour la régler.
« Et on reste attentifs aux conversations de corridors », afin de réagir si des rumeurs qui devaient s'avérer fondées circulaient. On pourra ainsi bonifier les politiques et procédures en place, explique-t-elle.
Sans prétendre parler pour la profession, Gina Doucet constate que le milieu se mobilise. Outre le fait que de telles situations sont particulièrement déplaisantes, « le risque réputationnel est trop important pour qu'on n'agisse pas ».
Le Barreau agit
Le Barreau s'est également commis pour que la judiciarisation des agressions soit plus facile pour les victimes et ce, « bien avant le mouvement #metoo - #moiaussi », rappelle Martine Meilleur, porte-parole du Barreau.
Il a publié notamment un rappel, l'automne dernier : « L’avocat doit s’abstenir en tout temps d’exercer de la discrimination et du harcèlement envers quiconque, client, employé, collègue ou toute autre personne (…) Le harcèlement sexuel (…) est un acte dérogatoire à la dignité de la profession (et) l’avocat qui a connaissance de harcèlement sexuel (…) doit en informer immédiatement le Syndic », rappelle l'Ordre.
-Avec Delphine Jung