Les avocats de la défense québécois se serrent les coudes

Sophie Ginoux
2025-03-25 14:15:57

Pour débuter cette présentation, soyons honnêtes : la défense est une spécialité qui a souvent mauvaise presse, au Québec comme ailleurs.
« Nous sommes vus comme des moutons noirs, concède Me Marie-Laurence Spain, avocate criminaliste depuis presque huit ans pour le cabinet Roy & Charbonneau. Mais je nous considère plutôt comme le dernier rempart de personnes aux prises avec des problèmes importants, voire dramatiques. On parle quand même de perte d’emploi et de garde d’enfants, de détention, de casier judiciaire, du Registre national de délinquants sexuels, etc. »
Un point de vue partagé par Me Élizabeth Ménard, associée de Ménard Daviault Grey depuis l’automne 2024 et avocate du cabinet spécialisé en droit criminel Yves Ménard Avocats depuis 12 ans. « Même si la valeur de notre rôle n’est pas toujours reconnue, il est essentiel de rappeler que nous ne représentons pas des « bandits », mais des personnes qui ont des droits fondamentaux, même si elles ont commis des actes criminels », insiste-t-elle.
Ce message, les deux avocates le martèlent régulièrement sur les tribunes qui leur sont offertes, notamment à travers leurs associations respectives : l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense (AQAAD), dont Me Spain fait partie du comité de direction, ainsi que l’Association des avocats de la défense de Montréal, Laval, Longueuil (AADM), dont Me Ménard est la présidente depuis 2021.
Toutefois, la démocratisation de la profession d’avocat de la défense auprès du grand-public ne constitue qu’une des facettes de la mission de ces organisations représentant les professionnels du droit criminel et pénal au Québec.
Soutenir sa communauté juridique
Trois associations au Québec, l’AQAAD (près de 600 membres), l’AADM (près de 400 membres) et l’AADQ (Association des avocats de la défense de Québec), sont les fers de lance de la spécialité de la défense. Elles regroupent des avocats de la pratique privée et de l’aide juridique, des stagiaires et des étudiants en droit criminel et pénal.
L’AADM, qui représente les praticiens du Grand Montréal, a été la première à avoir vu le jour en 1960. Puis ses consœurs de Québec et des régions sont apparues – l’AQAAD fête ses 30 ans cette année, afin de refléter des réalités et enjeux différents. On peut par exemple penser à la vétusté et à la qualité de l’air des palais de justice du Nord du Québec, ainsi qu’aux délais judiciaires importants en Abitibi.
Le premier mandat des trois associations est de soutenir leurs membres. Comme l’indique Me Ménard, « La pratique d’un avocat à la défense est souvent assez solitaire. Faire partie d’une association permet de rejoindre un collectif qui va l’informer et l’épauler. »
Concrètement, les initiatives menées par ces organisations sont nombreuses. L’AQAAD organise un colloque annuel de trois jours centré sur le droit criminel, avec des activités animées par des avocats, des juges, des policiers et même des polygraphistes. Elle offre aussi cinq à six formations continues chaque année, en présentiel et en virtuel, l’expérience d’apprentissage l’École de la défense, qui s’adresse aux avocats qui ont moins de trois ans d’exercice, en plus de participer à plusieurs événements comme la Soirée Justice Pro Bono et de remettre des prix de reconnaissance afin de souligner l'excellence de ses membres.
De son côté, l’AADM dispose également d’un Symposium annuel, d’une Soirée de Reconnaissance et de formations diverses, dont quatre à caractère pratique sont organisées pour les jeunes avocats qui ont moins de deux ans d’expérience.
« Afin de soutenir nos membres, nous avons également créé un comité de soutien professionnel, ajoute Me Ménard. Si certains d’entre eux connaissent des problèmes de santé (physique ou mentale), des avocats volontaires peuvent les remplacer lors de leurs gardes de fin de semaine, ou bien se charger de reporter leurs dossiers pendant une période. L’entraide est importante pour nous. »
Promouvoir les droits et les libertés individuelles
Les associations d’avocats à la défense constituent des voix essentielles pour la justice criminelle et les libertés civiles au Canada, soulignent les deux avocates que nous avons rencontrées. C’est pour cette raison qu’elles interviennent sur plusieurs fronts.
À l’échelle de la province, elles réalisent des sorties médiatiques pour faire reconnaître le rôle et la vision de leurs membres auprès de la population québécoise, sous forme d’entrevues ou de lettres d’opinion dans des médias, comme celle dénonçant récemment les propos du ministre Simon Jolin-Barette, qui a qualifié les peines à domicile de « peines Netflix ».
« On retrouve aussi l’AQAAD dans des comités de liaison et des tables de concertation auprès des Cours du Québec, du DPCP et d’autres institutions pour régler des problématiques, comme les délais judiciaires, des différents avec des greffiers, l’état de certains palais de justice ou la négociation des tarifs d’aide juridique », explique Me Spain.
De plus, les associations interviennent au niveau canadien, jusqu’en Cour Suprême, pour des causes d’intérêt public. Par exemple, au cours des dernières années, l’AADM s’est illustrée dans les causes suivantes : R. c. Archambault, 2024 CSC 35 ; R. c. Breault, 2023 CSC 9 ; R. c. Zampino, 2023 QCCA 1299 ; et R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23.
On constate par conséquent que la notion d’engagement, tout autant que celle de solidarité, font corps avec les avocats à la défense québécois. Ce qui est rassurant, quand on voit les principes de justice écorchés ailleurs dans le monde, y compris chez nos voisins américains.