Les compagnies aériennes peuvent contester plus facilement
Radio-canada Et Cbc
2024-06-10 13:15:53
Les compagnies aériennes obtiennent davantage de moyens pour contester l’indemnisation des passagers…
Des experts craignent que les compagnies aériennes contestent plus fréquemment des décisions de l’Office des transports du Canada et « inondent » les tribunaux, après l’entrée en vigueur de nouvelles règles fédérales simplifiant le processus de plaintes.
Un couple de Colombie-Britannique dit faire les frais de ce changement, qui est censé aider les passagers aériens à récupérer plus facilement les sommes qui leur sont dues. Or, la loi permet aussi aux transporteurs de contester un plus grand éventail de décisions de l’agence fédérale.
« Je me sens engourdi. Il y a un sérieux problème avec le système », mentionne Andrew Dyczkowski, client d’Air Canada.
En janvier 2020, lui et son épouse Anna avaient manqué leur correspondance pour le Costa Rica après un vol retardé de Vancouver à Toronto.
Une porte défectueuse avait cloué l’avion au sol, expliquait dans sa plainte le couple, qui habite près de Kelowna. Air Canada affirmait, de son côté, que le mauvais temps était la principale cause du retard.
Près de quatre ans plus tard, en novembre 2023, l’Office des transports du Canada a tranché en faveur des Dyczkowski et a ordonné à Air Canada de leur verser 1000 $ chacun.
L’Office des transports n'est pas visé
Au lieu d’obtenir cet argent, le couple a plutôt reçu un document juridique. L’entreprise plaide, dans sa demande déposée en cour fédérale, que la décision de l’OTC est déraisonnable et doit être annulée.
Les avocats d’Air Canada s’appuient notamment sur un nouveau paragraphe du Règlement sur la protection des passagers aériens qui stipule que le « membre de l’Office ou de son personnel qui agit à titre d’agent de règlement des plaintes n’a que les attributions d’un agent de règlement des plaintes et non celles de l’Office ».
Comme l’Office des transports n’est pas cité, il ne peut pas soutenir les passagers dans cette affaire. Le couple a embauché son propre avocat.
« Laissez le petit peuple tranquille. Nous n’avons pas envie de nous ramasser devant les tribunaux avec des centaines de pages de documents juridiques », affirme Andrew Dyczkowski.
Les compagnies aériennes – tout comme leurs clients – ont toujours eu le droit de contester des décisions de l’Office des transports du Canada, mais elles le faisaient rarement.
L’agence a reçu plus de 85 000 plaintes au cours des deux dernières années. Pendant ce temps, les transporteurs ont seulement contesté six décisions impliquant des compensations, selon l’Office.
« C'est vraiment malheureux. Je pense qu’il y aura beaucoup plus de contrôles judiciaires », affirme John Lawford, avocat et directeur général du Centre pour la défense de l'intérêt public.
Les compagnies aériennes vont « essayer de ralentir davantage le processus et donner une mauvaise image au processus de plainte, encore pire qu'il ne l'est déjà », ajoute-t-il.
Air Canada n'est pas d'accord. Dans un courriel envoyé à CBC, le porte-parole Peter Fitzpatrick affirme que les demandes de contrôle judiciaire sont « complexes et coûteuses » et que l’entreprise n’a recours aux tribunaux que pour « des questions sérieuses de faits ou de droit ».
« Il n’y a aucun avantage à encombrer les tribunaux avec des contrôles judiciaires », ajoute Peter Fitzpatrick, gestionnaire des communications d'Air Canada.
Il ajoute que la compagnie aérienne n’a contesté que l'affaire des Dyczkowski depuis l'entrée en vigueur des changements législatifs.
Nouvelles règles : ce qui a changé
Pour accélérer le processus de plaintes, Ottawa a adopté une série de mesures l’automne dernier pour embaucher des agents de règlement des plaintes et leur permettre de trancher sur ces dossiers au nom de l’Office des transports du Canada.
Par conséquent, les compagnies aériennes ne peuvent plus porter ces décisions en appel. Elles doivent plutôt demander un contrôle judiciaire en cour fédérale, un tribunal inférieur.
« Les transporteurs pourront attaquer les décisions de l’OTC sur plus de bases qu’elles ne le pouvaient auparavant », estime Mark Mancini, professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université Thompson Rivers, à Kamloops, en Colombie-Britannique.
« C’est maintenant un processus beaucoup plus facile pour les compagnies aériennes », explique Mark Mancini.
Selon des documents de cour des deux dernières années, Air Canada a tenté de faire annuler trois décisions de la Cour d’appel fédérale. Chacune de ces requêtes a été rejetée.
En cour fédérale, l’affaire des Dyczkowski ira de l’avant — mais une date pour le début du contrôle judiciaire n’a pas été fixée. Le transporteur affirme que l’agent responsable de ce dossier « n'a pas réussi à évaluer correctement les preuves ».
Le porte-parole d’Air Canada, Peter Fitzpatrick, affirme que cette démarche n’a pour but que d'éclaircir le règlement et les obligations des nouveaux agents de l’OTC lors de l’évaluation des preuves. Il précise que si la compagnie aérienne remportait sa cause, les Dyczkowski n'auraient pas à lui payer de frais juridiques.
L’agence fédérale tente de prendre part à ce contrôle judiciaire, mais Air Canada s’oppose à cette demande.
Tom Oommen, porte-parole de l’Office des transports du Canada, affirme que les passagers nommés dans un contrôle judiciaire ne sont pas tenus d’y participer. « Même si le passager ne se pointe pas, le juge devra revoir toute documentation pertinente afin d’évaluer si l’OTC a pris la bonne décision », explique-t-il.
Même s'il n’a aucunement envie de se présenter devant la justice, Andrew Dyczkowski estime qu'il est tout de même prudent de participer au contrôle judiciaire.
« Si je ne le fais pas, cela signifie que le jugement peut être prononcé contre vous sans que vous ayez la possibilité de dire quoi que ce soit à ce sujet », dit-il.