Stéphane Harvey contre-attaque
Gabriel Poirier
2022-06-09 15:00:00
La première le reconnaît coupable de dix chefs d’infraction disciplinaire. La seconde lui reproche de s’être approprié l’argent d’un client. Me Harvey sera vraisemblablement radié pour une durée indéterminée, à moins d’obtenir gain de cause dans le présent recours.
Stéphane Harvey reproche au Conseil de discipline d’avoir violé deux principes de justice naturelle, soit son droit à un « procès juste, raisonnable ou équitable » ainsi que des manquements à l’équité procédurale.
« En l’espèce, à quoi bon tenir des auditions et être entendu sur l’affaire si la décision est déjà prise par le Conseil ? », questionne son pourvoi en contrôle judiciaire et sa demande de sursis.
Le Barreau 1990 allègue à Droit-Inc être victime d’une « injustice ».
« La Cour supérieure est le tribunal tout indiqué pour pallier les abus récurrents d’institutions et organisations (...). Quand nous sommes victimes de ce que l’on considère comme une injustice, nous cherchons à comprendre ce qui s’est passé et le résultat est ici plutôt flamboyant. »
Rappelons que Me Harvey a déposé plusieurs recours qualifiés de « dilatoire » par la Cour supérieure pour « faire échec » aux plaintes disciplinaires logées contre lui. À ce jour, ses demandes en déclaration d’inhabilité ont toutes été rejetées.
« Plutôt que de retarder le processus (disciplinaire), le demandeur devrait y faire face s'il s'estime lésé ou injustement traduit devant le Conseil de discipline », écrivait le 10 juin 2021 la juge Alicia Soldevila. Son jugement rejetait la demande en déclaration d'inhabilité déposée par Me Harvey contre Nathalie Lavoie, la syndique ad hoc chargée des dossiers disciplinaires dans lesquels sa culpabilité a été établie.
Vérification faite, Droit-Inc a appris qu'une demande a été déposée à la Cour supérieure le 30 mai dernier pour rejeter le pourvoi en contrôle judiciaire et la demande de sursis de Me Harvey. Cette demande devrait être entendue prochainement à Québec.
Décisions rédigées « d’avance »
Me Harvey reproche aux Conseils disciplinaires qui l’ont entendu d’avoir rédigé en partie ou en totalité les décisions de culpabilité qui le vise… avant même la prise en délibéré de l’affaire.
« Cette manière de faire traduit l’apparence d’une idée préconçue sur le fond du litige (...) », argue-t-il.
L’avocat de Québec fonde son raisonnement sur ce qu’il appelle une « impossibilité temporelle » : se référant par exemple à la teneur de la décision et à l’emploi du temps de Jean-Guy Légaré, l’avocat qui présidait son second dossier disciplinaire, il conclut qu’il est « impossible » que les décisions aient été rédigées dans les délais impartis.
« Si la décision avait été rédigée durant la période de délibéré, le Conseil de discipline aurait effectué l'ensemble du processus de rédaction en 72 heures, et ce, en sus de l'autre décision rendue le même jour (le 29 avril 2022) et prise en délibéré le 20 avril 2022 », note-t-il dubitatif.
Me Harvey exprime les mêmes doutes quant à la première décision sur culpabilité, qui fait 213 pages, ne croyant pas qu’elle puisse avoir été rédigée en 20 jours « juridiques ».
Il est clair, pour le Barreau 1990, que les décisions ont été rédigées « en partie ou en totalité d’avance », et que le Conseil de discipline a ainsi excédé son seuil de compétence.
« Fourre-tout numérique »
Stéphane Harvey adresse aussi des flèches au greffe de discipline, qui n’aurait conservé, après mars 2020, aucun dossier-physique au terme de l’article 120.1 du Code des professions.
L’article 120.1 prévoit que le secrétaire du greffe prépare et conserve les dossiers du conseil et veille à ce qu’ils demeurent « accessibles ». Or, un courriel transmis le mois dernier à Me Harvey révélerait que son dossier a été numérisé et conservé sur support technologique depuis le début de la pandémie.
« Aucune loi, aucun règlement ou aucune directive écrite ne permet la tenue d’un dossier entièrement numérique ou virtuel », soutient le Barreau 1990.
Ses dossiers disciplinaires s'apparentent de surcroît à un « fourre-tout numérique », regrette-t-il.
Me Harvey, qui demandait en avril à consulter l’un de ses dossiers, se serait fait répondre par la secrétaire du greffe que les « pièces et documents ont été déposés de façon désordonnée ».
« J'ai une multitude de documents qui n'ont pas été nommés lors des envois, plusieurs fois par jour pour chaque audition (...) C'est impossible pour moi de vous renvoyer les pièces dans l'ordre car le greffe est toujours dans l'attente d'une liste complète des pièces », ajoute le courriel du secrétaire du greffe daté du 19 avril.
Me Harvey estime que cette situation démontre que les dossiers le concernant n’ont fait l'objet d’« aucun contrôle de rigueur, de rétroaction ou de quelconque vérification ».
Et puisque ce « fourre-tout » ne contient aucune liste de pièces, il serait impossible de savoir quels documents ont été « produits en preuve ».
« Il s'ensuit également que la décision du 7 avril 2022 a été rédigée et rendue par le Conseil sans que celle-ci soit basée sur un dossier constitué et détenu par le greffe », ajoute le pourvoi en contrôle judiciaire.
Ces constats soulevés par Me Harvey s'appliquent aux deux dossiers disciplinaires, allègue-t-il.
D’autres différends
Les documents judiciaires déposés par Stéphane Harvey reviennent aussi sur ses différends avec l’ancienne avocate de BCF Avocats d’affaires, Nathalie Lavoie, aujourd’hui à son compte.
Rappelons que Me Lavoie est la syndic ad hoc qui est chargée des dossiers disciplinaires dans lesquels la culpabilité de Me Harvey a été établie. L’avocat de Québec représente un ancien client de Mme Lavoie, Vincent Deblois, qui a déposé une plainte disciplinaire contre elle.
Jointe par Droit-Inc, Me Lavoie nous réfère aux décisions publiques rendues contre Me Harvey pour ses procédures « dilatoires », et confirme avoir déposé une demande en irrecevabilité et en rejet du pourvoi en contrôle judiciaire. Elle n’a cependant pas voulu commenter davantage l’affaire pour respecter son devoir de réserve envers le Conseil de discipline et la Cour supérieure.
Me Harvey, qui a déjà déposé une poursuite à la Cour supérieure contre son BCF, affirme qu’il y a des « apparences de partialité » du Conseil à l’égard de son client. Le Barreau 1990 dit tenir pour preuve des courriels qui ont été échangés entre Me Isabelle Dubuc, qui préside le conseil de discipline, et l’avocat de Nathalie Lavoie, Me Philippe Levasseur.
Me Dubuc aurait envoyé par accident un courriel à Me Levasseur, une situation jugée préoccupante par Me Harvey. L’avocate a reconnu elle-même son erreur en envoyant un second courriel à Me Levasseur pour clarifier la situation.
Le courriel de Me Dubuc, qui a été envoyé le 28 octobre 2021, a été porté à l’attention de Me Harvey le 1er novembre lors d’une gestion où cette situation lui a été révélée. Il a ensuite obtenu une copie des courriels le 8 novembre.
Le message en question faisait suite à un échange de courriels-plaidoirie entre Me Harvey et Me Levasseur.
« Bonjour, Me Levasseur, Je suis d'accord avec vous. On se reparle bientôt », aurait répondu Me Dubuc croyant s’adresser à un membre du conseil.
Me Harvey ne croit toutefois pas qu’il s'agissait d’une simple « étourderie ». « Le fait que la présidente se déclare en “Accord” sans réserve avec la position de Me Levasseur dans un courriel en vase clos pendant le délibéré inquiète grandement le plaignant », avance-t-il.
« Il s'ensuit que la présidente communique en secret avec le procureur de Me Nathalie Lavoie », poursuit la requête. Rappelons que cette situation a été porté à son attention, quelques jours plus tard.
Me Harvey soutient en outre que ces échanges sont inquiétants puisque Me Levasseur a répondu au courriel accidentel de Me Dubuc en lui disant qu’il l’avait effacé, ce qui représente pour le Barreau 1990 de la « destruction volontaire et consciente d’éléments de preuve ».
Avec son pourvoi en contrôle judiciaire et sa demande de sursis, Stéphane Harvey espère que la Cour supérieure annulera les deux décisions de culpabilité qui ont été prises contre lui par le Conseil de discipline du Barreau. Rappelons qu’il sera vraisemblablement radié s’il n’obtient pas gain de cause.
Anonyme
il y a 2 ansTous le monde se plaint de la lenteur des tribunaux. Ici, les juges sont trop rapides! Le délai est de trois mois maximum pour rendre les décisions. Nous devrions féliciter ces deux présidents de comité de discipline pour leur célérité!
Pirlouit
il y a 2 ansMais c'est justement son argument principal. Si la décision est écrite à l'avance, pas sûr qu'il faut faire des félicitations.
Il est marqué au fer rouge mais ses arguments sont tout de même intéressants.
Anonyme
il y a 2 ansFaudrait voir si les présidents en question sont toujours rapide. Il y a des gens organisés dans la vie. Est ce que c’est le rythme habituel de ces présidents? Si oui, l’avocat a juste été malchanceux de tomber sur des juges efficaces…
A
il y a 2 ansComment peut-on croire à l'indépendance et à l'impartialité si deux décideurs sur trois ne sont pas payés?
Confrère
il y a 2 ansMaître Harvey est un homme attachant et fondamentalement bon, qui peut faire encore beaucoup pour servir le public. Si le Barreau ne veut plus de lui, peut-être serait-il opportun que notre confrère se tourne vers une seconde vocation.La Machine est très puissant et la vie est courte...
Et au Barreau: un peu d'indulgence, peut-être? Est-ce trop demander?
Pigeon dissident
il y a 2 ansLa théorie de Me.Harvey est impossible à prouver et n'est que pure spéculation .
Que cela soit vrai ou non , il ne pourra jamais le prouver.
Et si d'aventure, il décidait d'assigner l'un ou l'autre des présidents pour les questionner , le subpoena serait cassé car ils ne sont pas contraignable et ils bénéficient du secret du libéré.
Pigeon dissident
il y a 2 ansQuestion de preuve , Me.Harvey n'est pas sorti du bois , car il n'est pas permis d'interroger un membre d'un conseil de discipline car cela va à l'encontre du principe d'indépendance judiciaire.
Gomez c. Ordre des Médecins, 2003 QCTP 101.